Identités multiples - Rencontres
Ce documentaire de 2001 témoigne des multiples facettes de l'artiste. C'est pour nous l'occasion de toucher du doigt son quotidien sans entrer dans des considérations ni trop intimes ni trop personnelles. Car Daniel Barenboïm nous précise qu'il ne mélange jamais le privé avec le professionnel. Tout au plus aura-t-on droit à quelques images d'archives datant de 1969, témoignages émouvants de ses rares années de bonheur avec son épouse Jacqueline Du Pré, où ils s'ébattent en compagnie d'amis en jouant au ballon dans une piscine.
Le réalisateur Paul Smaczny établit un parcours plutôt chronologique focalisé sur les événements importants qui ont jalonné la vie du chef. On voyage donc beaucoup, passant de l'Argentine à l'Allemagne (Berlin, Weimar) et des États-Unis (Chicago) à Israël (Jérusalem, Tel Aviv). Nous terminerons ce périple construit en boucle comme nous l'avons commencé, à Buenos Aires, sur un air de tango dansé en toute décontraction.
Le documentaire trouve un bon rythme en alternant interviews statiques en appartement sous formes d’interventions spontanées ou à bâtons rompus, comme avec Pierre Boulez sur la place de la musique contemporaine, et conversations informelles volées au hasard des couloirs et coulisses des salles de concert. Barenboïm est homme du quotidien partout où il se trouve, discutant en toute simplicité avec des inconnus lorsqu'il est filmé, par exemple, dans les rues de Buenos Aires.
Le ton est enjoué : avec ses amis chinois, on le voit faire la cuisine, tablier autour du ventre, puis fumer un impressionnant cigare au milieu de la bonne humeur générale. À la synagogue de Buenos Aires, il s'entoure d'enfants qu'il incite à chanter. Avec Zubin Mehta, il fait une partie de backgammon pour se détendre.
Plus professionnellement, on le voit prendre les décisions techniques lors de répétitions pour la mise en place d'un opéra ou de récitals avec Waltraud Meier ou Cecilia Bartoli. On remarquera que ces décisions peuvent être prises de manière non officielle en discutant entre deux répétitions avec les responsables administratifs ou techniques des salles, ce qui n'empêche pas l'efficacité, bien au contraire.
Les décisions prises vont dans un sens positif : dépoussiérage artistique de la Staatskapelle de Berlin, succession de Georg Solti à Chicago et élargissement du répertoire, création du West-Eastern Divan Orchestra réunissant des musiciens aux nationalités a priori incompatibles : syrienne, arabe, juive et palestinienne. Sa persévérance s'est vue à chaque fois récompensée, même si cela prenait du temps. Les musiciens du Chicago Symphony Orchestra et du West-Eastern Divan ne seront plus jamais les mêmes après leurs expérimentations communes sous sa houlette. L'empathie musicale s'étend aux solistes. Sa proximité et son humanité mettent les interprètes en confiance et font qu'ils acceptent ses remarques constructives.
Au bout du compte, pour lui, les musiciens produisent le son, non le chef. La musique est une expérience corporelle et l'orchestre un miroir de la société au milieu de laquelle il vit.Le ton peut néanmoins devenir grave, notamment lors de l'évocation de la cabale ayant suivi l'exécution par un orchestre allemand d'un extrait de Tristan et Isolde de Wagner lors d'un Festival à Jérusalem, dans un contexte peu propice à ce genre d'expérience.
On retiendra surtout la phrase clé de ce documentaire riche en rencontres : "la musique est subversive tout en paraissant inoffensive". Un aveu de poids lorsqu'il se trouve à Jérusalem, chez lui, avouant son impuissance face à l'intolérance.
À noter : Identités multiples - Rencontres est présenté en stéréo DD multilingue à forte proportion d'anglais. Mais des sous-titres français, anglais ou allemands s'affichent en fonction de la langue parlée à l'écran. Durée : 88'.
Le récital anniversaire
Une autre réflexion est à mettre en relation avec le concert capté le 19 août au Teatro Colón : depuis ses précoces débuts, son style n'a jamais changé. Son professeur d'orchestre, Igor Markevitch, disait de lui qu'il jouait comme un chef. Un malicieux montage parallèle d'images d'archives dans lequel on le voit jouer un extrait de l'Appassionata en 1962 et en 2000 le démontrera.Daniel Barenboïm n'est pas un alchimiste des sons, faisant de la finesse et de la subjectivité un credo interprétatif. Son art taille davantage au ciseau qu'il ne brosse au pinceau. Le jeu se montre appuyé, aussi bien dans Mozart et Beethoven que dans Albéniz. Il s'allie à une très bonne dynamique, de violents contrastes ainsi que beaucoup de fraîcheur et de détaché, le tout renforcé par le son cependant un peu trop métallique du Steinway. Cette optique se défend mais elle a aussi ses limites : un Mozart rapide et détaché, un Beethoven caractériel et brut, un Albéniz percussif et peu espagnol.
Au-delà de la simple contradiction musicale, ce récital fait ressortir l'homme tel qu'il est : il dialoguera aisément avec les premiers rangs d'un public conquis d'avance qui n'hésitera pas à lui chanter "Joyeux anniversaire", aussi bien qu'il présentera de manière humoristique, voire nostalgique, quelques-uns des treize bis exécutés avec bienveillance. Leur éclectisme et la diversité de leurs couleurs constituent presque un second programme. Une fois de plus, l'universalité qui habite le pianiste est défendue avec talent et générosité.
Daniel Barenboïm ne vit que par et pour la musique, ciment de ses multiples identités. Il se dit argentin, juif et européen…
Le choix de l'immense salle du Teatro Colón, remplie d'un public si nombreux qu'il dût même investir la scène sur laquelle était installé le piano, permit de concrétiser sentimentalement une volonté de partager l'universalité d'un langage commun.
À noter : Le programme complet du concert se trouve dans la galerie de photos proposée ci-dessous.
Nicolas Mesnier-Nature