C'est à l'initiative d'Anne-Marie Sallé, Directrice artistique du Festival de Clairvaux Ombres & Lumières et des Actions en milieu carcéral, ainsi que du compositeur Thierry Machuel, qu'est née l'expérience relatée avec pudeur par ce documentaire.
Adrien, Augustin, Dumé, Éric et quelques autres détenus de la Maison centrale de Clairvaux ont participé à un atelier d'écriture. Leurs textes, leurs poèmes, étaient destinés à être mis en musique. Le compositeur a du reste choisi une forme d'écriture à même de s'adresser à un public non familiarisé avec des sonorités vocales contemporaines. Capter l'auditeur était en effet essentiel à cette démarche.
Le réalisateur Julien Sallé et Thierry Machuel ont travaillé collectivement sur les questions à proposer aux détenus afin de guider leur travail d'écriture. Dans la pièce qui accueillait l'atelier, chacun devenait en fait auteur d'une création commune. Le choix de participer ou non à cette démarche était libre, comme arrêter l'expérience. Le thème donné aux prisonniers était "la nuit". Ce même thème a servi ensuite de base aux moines de Citeaux - abbaye mère de Clairvaux - pour les poèmes qu'ils ont écrits un an après, en 2009, en réponse à ceux des détenus.
Le film montre les rencontres entre les candidats à l'écriture et Thierry Machuel, ainsi que le processus de création musicale qui aboutira au concert. La réalisation de Julien Sallé est souple, elle se plie à l'exigence du moment en oubliant sans doute la structure travaillée en amont.
Tous les détenus sont filmés de dos, la nuque et la voix étant le seul lien proposé au spectateur.Assis face au prisonnier, le compositeur écoute les récits. Il en nourrira son écriture. Un détenu relate la première nuit passée en cellule. Les thèmes sont lourds et s'imposent avec la force du naturel : la souffrance de l'incarcération, ceux qui se suicident car ils ne supportent pas la privation de liberté… Que reste-t-il dans la tête d'un détenu dont la vie s'écoule en prison ? Et dans la tête de ceux qui l'on connu ? La notion de temps est omniprésente et cruciale : hier, demain, le passé et le futur… Le temps s'arrête lorsqu'on est enfermé ; il redémarre quand on sort.
Puis, les témoignages se précisent. Des confidences naissent, sur soi ("j'étais un homme normal, pas un numéro d'écrou"), sur la nature, observée à travers les barreaux, qui tend à révéler une sorte de respect pour toute forme de vie, sur le pardon et la reconnaissance de la notion de liberté chez l'autre.
La caméra longe les murs, nous conduit dans d'anciennes cellules usées par le temps, sur le sol desquelles se trouvent encore quelques morceaux de photos déchirées, témoignages hurlants qu'on ne saurait pourtant interpréter. Nous suivons le compositeur lors de quelques séances d'écriture. Puis, des choristes du chœur Mikrokosmos viennent répéter devant les prisonniers les textes mis en musique. Le processus de création suit son cours et la caméra nous en fait le témoin avec une certaine distance.
Les détenus n'assisteront pas directement au concert. Mais, à la fin du documentaire, nous les voyons rassemblés devant une projection de ce moment dont ils sont en partie les auteurs.
Les nuques de ces hommes étaient jusque-là notre seul point de contact. Mais, furtivement, la caméra dévoile quelques visages transformés par ce à quoi ils viennent d'assister : leur propre création.
"La Justice nous a diabolisés, mais on a réussi à faire quelque chose", confiera l'un d'eux.
À noter : Un très riche livret en français et en anglais apporte de nombreuses informations sur la démarche. Au côté des textes des chants, les acteurs de l'expérience délivrent tous un précieux point de vue qui éclaire le propos du film. Une lecture qui comblera le spectateur et l'auditeur exigeant.
Le DVD est en outre accompagné de 2 CD proposant des œuvres commandées à Thierry Machuel par le Festival de Clairvaux Ombres & Lumières.
L'ensemble vocal Les Cris de Paris, François René Duchâble et le compositeur (piano), Bruno Pasquier (alto) et Roland Pidoux (violoncelle) sont servis par d'excellentes prises de son.
Philippe Banel