Dans le cadre somptueux de Nohant, à la manière de touristes ordinaires, douze spécialistes et musiciens attachés à la musique de Chopin développent une facette de l'art du compositeur, soit son rapport au monde de l'opéra.De prime abord, l'approche peu surprendre. Mais l'on comprend par le biais d'explications claires et d'extraits musicaux où cette proposition nous mène : au monde de la scène lyrique, du théâtre, des grandes divas de l'époque et des compositeurs de ce qu'on appellera le "bel canto".
Autour d'une table, sort d'un ordinateur portable la voix lointaine d'Adelina Patti (1843-1919) dans un extrait accompagné au piano enregistré en 1905. Les spécialistes écoutent ses ornements et leur influence sur la musique de Chopin. Car la cantatrice était élève de Giuditta Pasta (1797-1865), spécialiste du bel canto, de Rossini, Donizetti et Bellini. Quand on sait que Chopin et Bellini se fréquentaient et que le compositeur était un fidèle du Théâtre Italien de Paris, on comprendra cette influence directe sur son style pianistique. À titre d'exemple, le pianiste Roland Pöntinen nous fait entendre un extrait de l'Étude no. 7 en ut# mineur qui semble venir directement d'un air tiré d'un opéra de Bellini.
Chopin imitait les fioritures des chanteurs d'opéra. Le chant de Bellini est un principe qu'il a repris dans ses pièces où les ornements et les phrasés s'inspirent directement de l'émission vocale. L'influence de la langue et celle de son rythme sont insérées dans sa musique - langue sans parole - dans laquelle l'ornement s'inscrit de fait sous la forme d'une ligne mélodique : la mélodie ne peut plus se distinguer de l'ornement ; l'ornement fait partie de la mélodie.
La musique de Chopin reste une musique abstraite dans le sens où toute intention descriptive ou découlant d'une source littéraire, à l'inverse de Liszt, est soigneusement évitée. D'esprit classique, sa musique s'humanise à l'aide des sentiments représentés en partie par la voix et tout ce qu'il pouvait découvrir aux Italiens.
La souplesse physique de Chopin influença aussi directement la souplesse de ses phrasés au piano : les respirations du poignet après chaque phrase permettent d'articuler le texte musical sans rigueur.
Les commentaires des intervenants sont ponctués par de courts extraits musicaux repris en intégralité dans le bonus du programme principal.
Durant une quarantaine de minutes, Christiane Libor, Katerina Hebelkova, Dávid Adorján et Roland Pöntinen recréent sur une petite scène de théâtre une ambiance comparable à celle de concerts privés donnés par Chopin. Il s'agit en partie d'arrangements dus à Pauline Viardot (1821-1910), cantatrice amie de Chopin qui arrangea des Mazurkas pour piano et voix. L'exercice délicat de l'arrangement est assez convaincant dans le sens où il est une application en musique des théories développées au long du documentaire. Si les deux voix féminines et le violoncelliste interprètent les morceaux avec conviction – notamment l'étonnante pièce finale, le Nocturne op. 27 no. 1 sur le texte de O salutaris, l'impassible pianiste Roland Pöntinen, lorsqu'il joue Berceuse, Mazurkas et Études paraît toutefois froid et distant.
Les spécialistes abordent dans ce documentaire avec une relative simplicité un des aspects de la personnalité et de l'art de Chopin. Si le propos peut ne pas constituer une révélation fulgurante pour certains, il a au moins le mérite de nous inciter à écouter autrement les mélodies qui parcourent les œuvres du compositeur.
Nicolas Mesnier-Nature