Eh bien sans doute tout cela à la fois, mais aussi une vraie mise en images de la musique.Cecilia Bartoli, filmée dans le cadre somptueux du Palais royal de Caserta, près de Naples en Italie, incarne ces castrats dont elle s'approprie le répertoire, tout en conservant et en exprimant sa propre personnalité artistique.
Le réalisateur joue du reste avec infinie délicatesse sur cette présence double par un montage et des jeux d'ombres et de lumières qui font apparaître ou disparaître la salle de théâtre baroque, ne laissant visible que la rampe. Les musiciens du Giardino Armonico, eux aussi, disparaissent et réapparaissent comme les fantômes d'un lointain passé.
Celui durant lequel le Palais de Caserta fut construit, c’est-à-dire pendant lequel la musique de Nicola Porpora commença à être reconnue en Europe grâce à ses élèves castrats qui connaissaient une popularité grandissante.
Les applaudissements enregistrés et traités acoustiquement nous renvoient dans ce passé, comme si le film en devenait le témoin.La chanteuse, grâce à une variation de plans très maîtrisée, nous apparaît tantôt de face, s'adressant directement au spectateur, tantôt de profil, vue en quelque sorte depuis les coulisses. Elle devient alors le chanteur sur scène, tandis que des gros plans sur son visage expressif nous situent plus dans le cadre d'une captation détaillée centrée sur l'interprète.
Ces variations respirent avec la musique et parviennent à créer une dynamique qui renouvelle en permanence l'intérêt de ce film. Il évite ainsi avec brio de tomber dans les travers d'une simple illustration du disque.
Cecilia Bartoli est bien sûr omniprésente à l'écran mais Il Giardino Armonico et son chef Giovanni Antonini jouent une forme de contrepoint qui équilibre l'image de la diva.
Les onze mélodies qui se succèdent sont toutes issues du disque Sacrificium.
Associée à cette musique, l'image prolonge la virtuosité vocale, le contrôle des nuances, les couleurs, la maîtrise de la rapidité et des difficultés inouïes de tenue de souffle imposée par ces longues phrases à tenir, comme la retenue des coloratures les plus difficiles.Cecilia Bartoli se prête avec naturel au jeu théâtral. L'expérience de la scène parvient à enrichir cette recréation d'interprétation.
Dans sa façon de gravir les marches du grand escalier du palais pour rejoindre l'orchestre qui l'attend pour "In braccio a mille furie" de Nicola Porpora, la présence de la comédienne habite les lieux. Elle sait maîtriser l'expression, la gestuelle comme le port des superbes costumes signés Agostino Cavalca.
Et la caméra se fait complice.
Loin des plates illustrations musicales servies par les majors à l'ère du laserdisc, cette "vision" signée Olivier Simonnet s'impose comme un exercice de style raffiné, sophistiqué dans la mise en images, qui prolonge avec intérêt le disque Sacrificium, et les émotions musicales contrastées, parfois violentes, qu'il véhicule.
Le film se conclut néanmoins sur un léger regret.
"Ombra mai fu" de Haendel, interprété dans le parc du palais, pousse un peu trop loin l'artifice avec des éclairages extérieurs peu réussis et l'intégration de bruitages "naturels" à la bande-son. Sortir des murs n'est en fait pas propice à cette rêverie si bien ménagée jusqu'alors, parmi les ombres suggérées…
Philippe Banel