Disons-le d'emblée : on ne trouvera rien à reprocher à cette version prégnante du Requiem Allemand de Johannes Brahms. Christian Thielemann a le don de nous convaincre totalement tout en s'inscrivant dans une continuité et une tradition qui font démentir les a priori d'ennui qui pourraient en découler.Bien au contraire, il est passionnant de se rendre compte qu'une course à tout prix vers un renouvellement d'approche bien ancré dans l'esprit contemporain n'est ni un gage d'authenticité - par le recours à une lecture proche de la partition - ni de redécouverte et encore moins de qualité. Brahms se passe aisément d'une "modernisation" via, entre autres, des instruments soi-disant anciens, servant de prétexte à une relecture radicale du texte allant dans le sens d'un dégraissage massif. Brahms n'en a pas besoin, c'est ce que tend à nous dire Thielemann tout le long de ce concert.
Les tempi sont respectables : plus de 80 minutes. On s'installe dans une durée, mise au service du solennel et de la profondeur. L'orchestre affirme une puissance sans démonstration, associée à une remarquable clarté dans la conduite des voix, homogénéisées par une plastique sonore de toute beauté. L'orchestre se souvient certainement du passage inaltérable de son précédent chef, le roumain Sergiu Celibidache, tout en sachant tirer profit des qualités de Christian Thielemann.
La disposition des familles d'instruments est à préciser : les violons II se trouvent à sa droite, les altos et les violoncelles en face, les contrebasses siégeant sur la gauche légèrement surélevées, à côté des voix féminines. Par cette disposition, l'équilibre du son est respecté.Le chœur du Bayerischen Rundfunks, splendide, unifie plus qu'il ne diversifie les couleurs, ceci dans le sens d'un tout parfaitement homogène, d'une densité compacte sans pesanteur. Il forme en cela un contrepoids idéal avec les nombreux musiciens de l'orchestre. Par souci d'équilibre spatial de la musique, il restera assis durant ses échanges avec la soprano.
Quant aux solistes, nous avons la chance de voir et d'entendre deux grands chanteurs, eux aussi en juste harmonie avec l'ensemble, ce qui n'était pas le cas dans la version de Gergiev éditée en DVD par BIS (lire le test). Ici, Christine Schäfer et Christian Gerhaher suivent le même chemin expressif que le chef en réussissant à intégrer leur chant à l'esprit d'ensemble. Tous deux apparaissent détendus, la voix chaleureuse et grave du baryton faisant un bel écho à l'organe aérien de la soprano, véritable éclat de lumière au milieu de la gravité.
L'éclairage scénique changeant joue également un rôle important dans ce concert. D'abord dans les tons bleutés convenant au propos, il sera nuancé d'orangé, pour devenir franchement chaleureux au moment du solo de la soprano. La couleur bleutée reprendra ses droits pour les deux derniers mouvements.
Au niveau de la captation, les images provenant des diverses caméras rythment l'ensemble par des fondus enchaînés visuellement assez peu agréables, troublant la vision et la netteté de l'image durant de brefs instants. Mais le montage alterné suit l'entrée polyphonique des voix, et de longs travellings latéraux balayent les rangs des choristes. Cela apporte une forme de variété au peu photogénique Christian Thielemann, parfois maladroitement décadré. Nous avions déjà remarqué la dichotomie entre le visuel et l'auditif en ce qui concerne la direction de Thielemann dans les Symphonies de Brücker parues en DVD également chez C Major (lire le test) : attitudes figées, économie des gestes, intensité du regard, rigidité du corps ne correspondant que très peu à la vie, à l'expression et à la puissance obtenues des musiciens. Mais, au demeurant, seul le résultat compte et la mise en place se montre impeccable, défiant les amateurs de sensations fortes par un classicisme efficace au service d'une musique qui ne l'est pas moins.
Christian Thielemann n'a curieusement pas souhaité d'applaudissements au terme du concert. Le public l'a suivi, prolongeant ainsi l'émotion dans un silence unificateur très révélateur…
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Nicolas Mesnier-Nature