Le programme du concert débute avec le Prélude de l’Acte I de Parsifal de Wagner.
Que l’orchestre ne soit pas dans son habituelle Philharmonie berlinoise ne le soustrait pas davantage à la rigueur et à la concentration collective qui le caractérise.
Le Prélude déroule sa longue prosodie musicale dans la plus belle tenue qui soit.
Le simple fait de le donner ainsi, seul, en ouverture de concert ne lui confère pourtant pas la dimension sacrée enveloppante qu’on lui reconnaît à la scène.
Rattle, égal à son exquise musicalité, en donne une lecture toutefois peu engagée sur le plan spirituel, mais habilement allégée, presque évanescente et qui doit sans doute son caractère à son exécution en concert comme au cadre dans lequel il se déroule.
Le Double Concerto de Brahms est l’occasion d’entendre là aussi l’orchestre dans son répertoire de prédilection : celui de la musique allemande du XIXe siècle, avec laquelle il a passé plus de cinq décennies.
Il interprète d’ailleurs un Brahms plus limpide et transparent que celui, profond, sombre et mordoré qu’affectionnait Karajan, notamment dans les années 1960.
Probablement la lecture et la pensée musicale issue de l’interprétation sur instruments d’époque ont profondément stimulé le changement d’approche de ce répertoire germanique pour l’entendre désormais à peu près partout, désormais plus clair, plus transparent, moins monolithique.
En tout état de cause Rattle a été culturellement fort sensible à ce renouveau et cela est devenu aujourd’hui constitutif de son profil musical.
C’est d'ailleurs un des arguments de ceux qui voudraient à Berlin ou ailleurs, lui contester la sphère d’un renouveau.
Le duo de solistes, Lisa Batiashvili au violon et Truls Mørk au violoncelle nous offre un ensemble de fort belle harmonie duquel une délicieuse intimité se dégage.
Aucun ego surdimensionné et tout concourt au bel instrument singulier que les deux solistes conjugués parviennent à créer.
La couleur empreinte de nostalgie que dégage notamment l’ensemble du premier mouvement est ici particulièrement manifeste.
Le très beethovénien second mouvement n’échappe pas à sa stature de nocturne romantique quasi chambriste. On est frappé ici plus particulièrement par le trio homogène que forment les deux solistes avec l’orchestre.
Un beau moment de recueillement et de sérénité entoure l’ultime chef-d’œuvre de Brahms.
La Quatrième Symphonie du même compositeur conclut le programme.
L’orchestre connaît à l’évidence et depuis fort longtemps ce répertoire et c’est un régal de timbres, de moelleux orchestral, de confort sonore permanent qu’il nous offre.
Mais cela suffit-il à transfigurer la page symphonique la plus somptueuse de son auteur, en tout cas une des plus complexes ? Le premier mouvement est relativement grave et Rattle ne semble pas totalement inspiré pour en installer le climat.
On a connu le chef autrement plus investi, inventif, créatif et original.
Certes, pour l’originalité, le terrain n’est pas ici idéal, mais on reste quelque peu sur sa fin alors que la attaquent les premières mesures de l’Andante moderato.
La conception classique la plus parfaite se confirme avec l'Allegro giocoso qu’on semble avoir entendu mille fois ainsi, parfaitement irréprochable mais finalement guère inspiré.
C’est avec le dernier mouvement que Rattle se révèle le plus convaincant.
Il y insuffle force et puissance et en souligne la splendide architecture basée sur les seules quatre premières mesures introductives de la Passacaille.
Ses tempi restent sages et le ton ne s’enflamme pas, mais la vigueur et l’intensité dramatique qui ressortent de son interprétation sont, cette fois, tout à fait convaincantes.
Ce concert s'avère en définitive intéressant à plus d’un titre mais ne nous fait pas oublier la synergie possible entre ce chef et cet orchestre, plus intense et plus émouvante que dans le cas présent, mais avec d’autres répertoires et en d’autres lieux.
Gilles Delatronchette