Leonard Bernstein fait partie de ces artistes hors norme aux multiples talents : pianiste, compositeur et remarquable pédagogue.
Un indéniable charisme se dégage de sa personnalité.
Son style de direction est très caractéristique : dépassant le simple texte écrit, il s'approprie la musique en la décortiquant et en l'outrepassant afin de la plier à sa vision toute personnelle empreinte d'un romantisme exacerbé.
Si parfois, la démarche ne produit pas l'effet escompté, avec Sibelius le résultat est probant.
En effet, l'écriture du maître finlandais, avec ses mélodies romantiques (Symphonies 1 et 2), ses changements de climats, ses ruptures de ton ou ses recherches de couleurs originales, ne pouvait que stimuler l'ardeur imaginative du chef prêt à mettre en relief les moindres détails, les plus subtiles nuances, les plus violents climats comme les plus douces contemplations.
Les deux premières symphonies, clairement romantiques, la cinquième plus rude et l'ultime septième plus abstraite enregistrées ici sont passées au tamis de la sensibilité de Bernstein. Littéralement recréées en concert, chaque note, chaque phrasé, chaque nuance sont décortiqués et repensés.La musicologie "desséchante", celle trop fidèle au texte, est reléguée. Leonard Bernstein se montre lui aussi sans compromis mais de l'autre côté du miroir, celui de l'expression, voire de l'expressionnisme.
Comme nombre de ses confrères, Bernstein apprit la lenteur en gagnant en maturité.
Mais celle-ci, bien que parfois très exagérée (Andante de la Symphonie no. 2), loin d'apporter l'ennui, est magnifiquement habitée et lui permet de détailler tous les recoins de la partition, de faire chanter la moindre partie instrumentale tout en nuançant le moindre phrasé.
Tout est sous contrôle mais le spectateur ne peut jamais prévoir ce qu'il va entendre.
Certains trouveront cela agréable, d'autres agaçant.La vidéo ne fera que renforcer cette position : quel acteur ! Bernstein est un spectacle à lui tout seul.
Il murmure (Symphonie no. 7), simule le violon (Symphonie nos 1 et 7), se balance sur ses deux jambes pour bien marquer le rythme, saute (1 et 4), change sa baguette de main et la rend inutile en la calant sous son bras (Symphonie no. 2 - 2e mouvement), enlève et remet ses lunettes tout en dirigeant, ouvre les bras pour embrasser tout l'orchestre.
Son visage offre toutes les mimiques du comédien : il sourit, pleure, implore. Ses bras se rejoignent en une prière intense pour communier avec ce fabuleux Orchestre Philharmonique de Vienne.
Il est remarquable de voir à quel point, des musiciens chevronnés qui se transmettent une qualité de son de génération en génération, le mettent au service du chef.
Les instruments utilisés assurent cette spécificité unique : doigtés et mécanisme différents des cuivres et des bois, notamment des fameux hautbois viennois peu semblables à leurs homologues français, et des timbales en peau naturelle.
Bernstein sait tout cela et s'en sert à des fins esthétiques uniques, comme d'autres chefs prestigieux avant lui (Futwängler, Karajan).
Le concert est parfaitement rendu par les cadrages et la multiplication de gros plans ou de plans d'ensemble lors des tutti.
Il y a parfaite adéquation entre ce que l'on entend et ce que l'on voit.
Bernstein se moquait éperdument des modes et des critiques.
Sa musique va à la constante recherche d'un plaisir sonore n'ayant comme limites que la capacité physique de ses musiciens.
Chaque concert est une recréation instantanée sidérante, une totale fusion entre un homme et une œuvre.
Au final, l'expérience musicale de ces Symphonies est inouïe.
D'aucuns n'y adhéreront peut-être pas, mais personne ne se montrera indifférent.
Retrouvez la biographie de Jean Sibelius sur le site de notre partenaire Symphozik.info.
Nicolas Mesnier-Nature