Jos van Immerseel poursuit depuis 1987 avec minutie et discrétion une vaste re-lecture de la musique du XVIIIe siècle à nos jours. Sans la pression du feu des projecteurs, il prend donc son temps pour que cette musicologie "active" soit également un plaisir et la production de disques un couronnement plutôt qu’une fin en soi.
Avec son ensemble Anima Eterna de Bruges, il signait en 2008 pour Zig-Zag Territoires une belle intégrale des symphonies de Beethoven, quelques années après celle de Frans Brüggen chez Philips, Roger Norrington pour EMI et surtout celle de John Eliot Gardiner pour Archiv.
De fait, la dimension vraiment "révolutionnaire" de cette entreprise se voit sensiblement émoussée tant les questions de timbres et de tempi ont déjà été rebattues depuis 1994.
Non, la nouveauté du présent programme est ailleurs : d’une part dans la présentation en DVD d’une performance "historique", et d’autre part dans la volonté d’approcher ce monument de la culture occidentale débarrassé de ses oripeaux issus de la tradition musicographique et romantisante pour revenir au texte lui-même.
Sur la réalisation de ce programme, on ne peut que se réjouir.
Si la mise en scène de ce concert, "comme à l’époque" de Beethoven, dans une salle historique, au milieu d’une assemblée choisie, se veut par certains côtés une reconstitution, on ne sombre heureusement pas dans le passéisme grâce à une lumière qui ne dédaigne pas des tonalités plus actuelles que les bougies et surtout des prises de vue alliant plans d’ensemble à la grue et des contre-plongées "taratatesques" sur les solistes (notamment le cor) dignes d’un Gérard Pullicino.Vient alors la question de l’interprétation et c’est là que le documentaire, très intéressant au demeurant (voir Interactivité) vient finalement desservir le programme principal dans la mesure où on tente de dédramatiser la Cinquième Symphonie pour mieux l’aborder comme une symphonie, certes particulièrement bien écrite et pleine de surprises, mais bien une symphonie comme une autre.
Mettre en question la tradition hagiographique sur Beethoven est bien une chose saine, mais on peut se demander jusqu’à quel point.
Le grand Ludwig ne composait-il que pour résoudre des problèmes purement formels ?
Comment expliquer, alors, le succès et la pérennité d’une telle œuvre ? Comment expliquer la flamme que met le premier violon de l’orchestre dans cette interprétation (surveillez-le, il est fantastique !) ?
Si l’on peut mettre en doute le mythe du Destin, il n’en demeure pas moins quelque chose d’ineffable, de surhumain dans cette œuvre, et cet aspect est presque gommé dans cette présentation.
De fait, pour remarquable, cette interprétation impressionne, séduit indéniablement, mais n’atteint jamais cette dimension quasi mystique qu’est parvenu à lui donner un Nikolaus Harnoncourt.
Lui a réussi, tout en demeurant l’un des tenants de l’interprétation historique, à équilibrer musicologie et musique.
Non que le présent programme soit dénué de musicalité, loin s’en faut, mais la balance penche parfois trop du côté du projet intellectuel et bride un peu l’élan libertaire qu’un monument de cette envergure renferme indéniablement.
Au final, on ressort de cette expérience avec l’impression d’avoir vécu quelque chose de beau et d’important, avec un apport essentiel à la lasérographie.
On aimerait simplement aller un tout petit peu plus loin. On aimerait simplement être bouleversé…
Jérémie Noyer