Nous avons déjà eu l'occasion, lors du test des Symphonies nos. 4, 5 et 6 de Beethoven, de mettre en avant les traits principaux de l'interprétation de Christian Thielemann. Bien évidemment, nous retrouvons tous ces éléments dans les trois dernières Symphonies enregistrées ici avec les mêmes qualités sonores et visuelles. Toutefois, l'enthousiasme qu'elles peuvent soulever convient d'être jaugé en regard d'autres versions de poids. Ces comparaisons n'engagent évidemment que leur auteur.
Dans l'histoire de l'enregistrement des Symphonies de Beethoven, il existe, comme en astrologie, un soleil autour duquel tournent toutes les planètes. Nous comptons, pour les Septième, Huitième et Neuvième opus, des soleils tellement éblouissants qu'ils ne peuvent que troubler un point de vue objectif. Chaque nouvelle version y est soumise : pour la Symphonie no. 7, il s'agit de Michael Gielen dirigeant le SWF-Sinfonieorchester de Baden-Baden en 1993 (EMI Classics) ; pour la Symphonie no. 8, de la version appartenant au premier cycle intégral d'Arturo Toscanini avec le NBC Symphony Orchestra enregistrée fin 1939 (éditeurs divers) ; pour la très fameuse Symphonie no. 9, de l'interprétation de Wilhelm Furtwängler le 22 mars 1942 (éditeurs divers). Ces choix ne tiennent compte que de l'aspect artistique, si fort qu'il oblitère la médiocrité technique des deux enregistrements historiques.
À l'aune de ces références musicales quelques aspects précis nous font diminuer l'excellente note accordée aux Symphonies nos. 4, 5 et 6.Le finale de la Symphonie no. 7 est un allegro con brio où explosent l'obsession rythmique et la fulgurance du geste, alliées à une certaine fuite en avant. Une espèce de course épuisante est lancée, qui ne semble vouloir s'arrêter, étourdissante. C'est cela que Michael Gielen a très bien mis en valeur - avec Fritz Reiner, seul concurrent possible mais un cran au-dessous -, portant ses instrumentistes à la limite de leurs possibilités techniques. Cette version exceptionnelle est littéralement habitée par la folie de la vitesse, folie à laquelle s'oppose Thielemann. Le tempo prodigieux atteint donne le tournis, et personne à notre connaissance n'est allé aussi loin. Avec une fluidité sans pareil, accompagnée d'une tension et d'un élan irrésistibles, Gielen a marqué à jamais du sceau de la déraison ce mouvement final, véritable tornade emportant tout sur son passage.
Le concept de base préludant à l'exécution de la Septième Symphonie par Thielemann n'est évidemment pas celui de Gielen. En soi, bien que puissant et très énergique, l'ensemble manque de tension et de subjectivité. L'Allegretto en constitue du reste certainement le meilleur moment, d'un bel équilibre de tempo pour une marche funèbre qu'il faut se garder de jouer trop lentement.La Symphonie no. 8 marque une pause dans le corpus beethovenien. Cette œuvre légère, de construction classique, manie la détente et la tension dans l'Allegro vivace, l'humour dans le second mouvement et la pseudo-parodie dans le Menuet sans oublier d'être une "grande" symphonie dans son finale. Cette œuvre a du mal à trouver de bons interprètes car ils se montrent souvent indécis quant à l'attitude à adopter en face d'une telle ambiguïté : jouer la légèreté à tout prix, l'humour et la détente comme fil conducteur ? Ces possibilités paraissent plus ou moins incongrues à un moment donné ou à un autre de l'œuvre. À moins d'un très fort parti pris, quitte à se placer hors-sujet. C'est ce que réalisa Toscanini en 1939 avec une Huitième profondément tragique. L'énergie de son premier mouvement est celle du désespoir, l'humour du second devient vite sardonique et obsessionnel dans sa régularité, et le menuet très mesuré lui aussi ne sert que d'introduction à un finale unidirectionnel ne laissant aucun répit.
La guerre venait alors d'éclater, le contexte électrique imprimait une nervosité et une tension au sein de l'orchestre aux antipodes de la relative détente voulue par Beethoven. Toscanini étant lui-même très nerveux, l'électrochoc avec les événements a marqué de manière indélébile tout son cycle des Symphonies.
Christian Thielemann réalise une Huitième Symphonie bien équilibrée. De son propre aveu, cette œuvre est très difficile à appréhender car on n'y trouve ni grandes passions ni grands sentiments. Sans doute l'absence d'un fil conducteur donne-t-elle l'impression d'une réussite en demi-teinte.
Enfin, la Symphonie no. 9 est certainement la plus belle réussite de ce coffret. Les chœurs du Singverein de Vienne s'y montrent parfaits, de même que les solistes, avec l'excellente basse Georg Zeppenfeld et la soprano Annette Dasch. Le travail de Thielemann sur la ligne mélodique des vents dans le second mouvement, ou la poésie instrumentale de l'Adagio, sont superbes. Mais qu'est-elle comparée à celle que donna Furtwangler en 1942 ?
Là encore, le contexte est cause de tout : jouée en live devant un parterre d'édiles nazis, avec un orchestre chauffé à blanc dans lequel figuraient des instrumentistes juifs protégés par le chef, de la première seconde (une création du monde) à la dernière (sidérantes dernières mesures), tout est emporté dans un maelström sonore inouï. Les paroles de fraternité de l'Hymne à la joie final y trouvent tout leur sens. Fort heureusement on ne retrouvera plus jamais cette tension, mais chaque nouvelle version ne pourra que lui être inférieure.
Pour peu qu'on adhère aux options stylistiques de Christian Thielemann, ces interprétations des trois dernières Symphonies de Beethoven combleront les attentes. Sans quoi, on risque de les trouver légèrement surannées. Le maître de Bonn a connu la relecture moderne de certains interprètes modernisateurs : Paavo Järvi et Nikolaus Harnoncourt, par exemple, mais eux-mêmes ne sont pas dénués de défauts. Pourtant, Thielemann croit en ce qu'il fait et ne dément jamais une sincérité d'intentions et une logique qui qualifient sa démarche. Il est néanmoins permis de penser que les univers de Bruckner ou de Brahms [renvoi aux tests] lui conviennent davantage.
À noter : Le DVD 1 propose les Symphonies nos. 7 et 8. Le DVD 2 propose la Symphonie no. 9. Le DVD 3 est consacré aux entrtetiens de Christian Thielemann et Joachim Kaiser.
Les autres DVD du cycle des Symphonies de Beethoven dirigées par Thielemann ont également été testés par Tutti-magazine :
- Lire la critique des Symphonies 1, 2 & 3 en DVD
- Lire la critique des Symphonies 4, 5 & 6 en DVD
Retrouvez la biographie de Beethoven sur le site de notre partenaire Symphozik.info.
Nicolas Mesnier-Nature