Dès les premières mesures de la courte Ouverture de Coriolan composée en 1807, Vladimir Jurowski déploie une énergie spectaculaire. Il entre de plain-pied dans l'esthétique beethovénienne, aussi bien dans ses traits héroïques que dans le lyrisme de la partition, et sculpte cette page symphonique en maniant tout aussi bien la véhémence que la douceur.
La façon dont il fait sonner les instruments anciens de l'Orchestra of the Age of Enlightenment - spécialisé dans la musique de la fin du XVIIIe siècle - apporte une authenticité qui ne choque nullement. Bien au contraire, elle permet à cette remarquable phalange d'interpréter de manière superbe cette pièce. Soulignons que, dès cette Ouverture, la mise en images se montre particulièrement soignée, avec une riche alternance de plans sur les différents pupitres de l'orchestre et le chef.
La Symphonie No. 4, écrite en 1806, n'est généralement pas la plus appréciée du maître de Bonn - à tort selon notre point de vue -, et nous permet d'apprécier, ici sur une plus vaste échelle, les qualités conjuguées du chef et de l'orchestre.
Le premier mouvement s'ouvre sur un Adagio dont on retrouvera la douceur, quasiment la caresse, dans le second mouvement, avant les impressionnantes accélérations imprimées à l'orchestre dans l'Allegro vivace. L'essentiel du rythme se concentre au sein du troisième mouvement. Jurowski nous conduit à la danse (Menuet) dans ce qui deviendra scherzo dans les Symphonies ultérieures de Beethoven. En effet, énergie et rythme ne pouvaient que provoquer cette forme de révolution musicale en rupture avec les formes classiques héritées de Haydn et de Mozart. La très percutante Coda du quatrième mouvement montre à quel point l'écriture de Beethoven manifeste un pont entre le classicisme et le romantisme musical.
En outre, la présence même du chef ajoute du charnel à tout cela, et il n'est pas étonnant de constater son succès.
L'Orchestra of the Age of Enlightenment répond un peu à la manière d'une phalange de tradition germanique. Les musiciens s'écoutent mutuellement et l'on sera témoin de leurs regards se fixant brièvement sur le chef. Il est patent qu'un grand travail de préparation a été réalisé en amont.
C'est un rythme effréné que Beethoven va exprimer dans cette "Apothéose de la danse" - la formule serait de Richard Wagner - que représente la Symphonie No. 7. Contrairement à la précédente, cette Symphonie composée en 1812 est une des œuvres les plus populaires du compositeur. Comme la Symphonie No. 4, avec son mode majeur, elle respire une certaine forme de joie de vivre, malgré la surdité naissante qui touchait Beethoven depuis 1802.
Tout est énergie, tout est rythme, tout est "danse". Dès les premières mesures du Poco sostenuto - Vivace -, on perçoit avec limpidité la direction qu'emprunte Jurowski avec son orchestre. Il fait vibrer et même chanter les pupitres, articulant merveilleusement bien les ressorts rythmiques de la révolution beethovénienne et son alternance de tension/détente. Seul le second mouvement - Allegretto - tranche avec bonheur sur le reste de la partition. Jurowski en capte parfaitement la majesté pour mieux accentuer le contraste. Les deux derniers mouvements, les plus rythmiques, seront on ne peut mieux dynamisés par Jurowski. Le chef est en osmose totale avec les musiciens, et les appelle, par ses mimiques, vers une conclusion brillantissime. On assiste alors à une sorte de transfiguration musicale, prélude à une Coda générale à l'énergie galvanisante.
Et nous voici emportés vers le triomphe annoncé, le public réagissant ce soir-là de manière extrêmement enthousiaste devant la démonstration flagrante qu'il est encore possible de renouveler les conceptions esthétiques de l'interprétation du grand répertoire symphonique.
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Jean-Luc Lamouché