Difficile de trouver quoi que ce soit à redire à l’interprétation de Christian Thielemann et du superlatif Philharmonique de Vienne dans ce répertoire. On remarque le retour à un gros effectif - plus de 12 premiers violons -, ce qui ne manque pas d’alourdir le geste musical si le chef n’y prend garde.
On note aussi, et c’est un vrai régal, le placement au centre des violoncelles et des contrebasses derrière eux, ce qui ne manque pas d’envelopper, de mélanger, le tissu harmonique de la façon la plus sensible et la plus efficace. C'est là un petit secret des phalanges austro-hongroises.
On sera enfin attentif, à plusieurs reprises, à un soupçon de brutalité (scherzo de la Symphonie No. 1, empressement plutôt qu’enthousiasme de l’Ouverture d’Egmont) là où on attendrait, des Viennois en particulier, une lecture plus aimable et un moelleux qui a caractérisé plusieurs des nombreuses exécutions de l'œuvre. On ne participe pas ici à une lecture particulièrement légère ni gracieuse, traits qui sont pourtant bien présents et à plusieurs reprises dans l’exquis contrepoint de la Symphonie No. 1, ce qui relie peut-être d'ailleurs le plus pour cet opus, Beethoven à Haydn et à l’unique et singulière saveur qui l’a tant inspiré à ses débuts. La gravité, le romantisme, l’austérité et le monumental s’imposeront plus tard, mais ce ne sont pas là les traits marquants des symphonies jusqu’à la troisième.
Tout ceci se confirme au cours de la Symphonie No. 2 avec laquelle se poursuit le présent programme. Certains traits sont sévères, inutilement rudes dans certains gestes musicaux où certes Beethoven entend surprendre, mais où l’emploi de baguettes dures aux timbales par exemple, ne lie pas vraiment la pâte sonore, fût-ce même en ménageant un relief.Avec l’immense Symphonie No. 3, on aborde un autre visage du génie de Bonn, un des monuments de son œuvre, voire de l’Histoire de la symphonie elle-même. Thielemann parvient assez vite à installer un climat dense, fait de tensions, géré par une belle science des contrastes. On est parfois légèrement dans l’excès, quand des accents marqués jaillissent un peu brutalement et soudainement, comme on le moque parfois en caricature pour en souligner l’outrance. Il est vrai que ce Beethoven-là en joue à merveille et illustre à ce titre une évolution considérable de la gestion du discours musical. Thielemann surprend toujours par sa battue singulière - parfois de bas en haut, en totale opposition avec ce qui se fait en matière de direction d’orchestre ! - mais la richesse de sa personnalité se révèle évidente comme cette connivence entretenue avec l’orchestre qui semble beaucoup l'apprécier.
Le chef ne se prive pas de quelques ralentis "subjectifs", dans certains instants du premier mouvement, qui accentuent encore davantage la nouveauté du texte musical. Il s’en explique d’ailleurs, et son point de vue est recevable bien que probablement discutable, au cours de l’entretien relatif à la symphonie dans le documentaire qui accompagne le programme musical.Lorsqu’il dirige, on remarque combien le visage du chef allemand demeure impassible, presque atone, sans la moindre expression émotionnelle. Car c’est par son regard, d’une densité assez extraordinaire, voire surprenante, que le contact semble se faire. Christian Thieleman partage ce trait commun avec Harnoncourt, lequel dirige lui aussi régulièrement l’orchestre viennois, mais ce dernier cultive une poésie, tant sonore que narrative, d’une tout autre nature.
Quant à cet orchestre essentiellement masculin - on remarque combien les femmes y sont toujours rares : trois au plus dans la Seconde Symphonie - il se montre d’une incomparable élégance, à la fois sobre et singulier tout au long du programme. Il possède encore quelques caractéristiques sonores qui lui sont propres : la couleur de ses hautbois à bocal, les cors et les trompettes d’une facture spécifique qui "sonnent" différemment, le moelleux de ses cordes et leur homogénéité du grave à l’aigu… Tout cela est parachevé par une discipline artistique collective unique et à tout moment remarquable.
C’est finalement à une grande et belle exécution à laquelle nous assistons, mais sans en ressortir émerveillé et persuadé d’avoir entendu les chefs-d’œuvre beethovéniens pour la première fois. C'est le cas avec d’illustres prédécesseurs de Thielemann : Karajan, Bernstein et surtout Kleiber, filmés eux aussi…
Les autres Blu-ray du cycle des Symphonies de Beethoven dirigées par Thielemann ont également été testés par Tutti-magazine :
- Lire la critique des Symphonies 4, 5 & 6 en Blu-ray
- Lire la critique des Symphonies 7, 8 & 9 en Blu-ray
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Gilles Delatronchette