Les quatre instrumentistes parviennent à trouver dans ces interprétations un parfait équilibre entre les différents pupitres. En effet, jamais le violon I ne domine le violon II. Le violoncelle fait entendre sa voix et l'alto, trop souvent défavorisé, trouve sa place. Ils respectent ainsi l'écriture beethovenienne en allant dans le sens d'une individualité croissante de chaque pupitre. Tous se répondent dans une polyphonie de chaque instant et éclairent en permanence le texte.
Ce sens de l'équilibre instrumental a pour conséquence un bon rapport des sonorités entre elles : les suraigus du premier violon ne pêchent pas par excès de brillance, sauf bien sûr si le texte l'indique expressément et l'échange est continuel avec son équivalent, le second violon. Les dialogues entre l'alto et le violoncelle se font tout en douceur et en finesse.
Les nuances bénéficient immédiatement de cet équilibre puisqu'elles sont elles aussi respectées à la lettre, sans trait forcé et sans tension inadéquate. On a de fait l'impression que les interprètes placent constamment leur confiance dans les indications de Beethoven. Celles-ci leur permettent de cimenter et de rendre cohérent un discours pouvant vite tourner à l'exercice intellectuel avec la Grande Fugue, ou à la mosaïque abstraite avec le 14e quatuor et ses 7 parties enchaînées. Des mouvements à variations comme l'Adagio du 12e ou l'Andante du 14e quatuor feraient presque oublier que celles-ci existent tant leur compréhension dans un tout parfaitement homogène est aboutie.
Le Tokyo String Quartet sait également donner du poids avec justesse à son interprétation. Par exemple, dans l'Allegro final du 14e quatuor, c'est sans lourdeur que le mouvement avance avec une densité sonore quasiment symphonique. Dans le second mouvement du 15e, l'idée est juste de nous donner à entendre une danse paysanne de style ländler un peu lourde combinée avec un trio rappelant une musette rustique. L'humour subtil de l'Andante ou la grâce élégante du Alla danza tedesca du 13e quatuor sont présents mais discrets. Les grands sentiments suggérés par les magnifiques Adagios des 12e et 15e évitent avec bonheur le pathos hors sujet en respectant l'esprit à la lettre ainsi que les sentiments personnels du compositeur.
Toutes ces qualités d'équilibre, de justesse des nuances et d'éclairage des différentes voix trouvent évidemment leur aboutissement dans la Grande Fugue. Elles permettent non d'arrondir les angles mais de faire chanter des instruments sur un texte très complexe et ardu, voire austère, en lui apportant un coloris poétique. Comme "détente" après ce monument, le Tokyo String Quartet joue le Finale de substitution de l'opus 130 destiné à remplacer la Grande Fugue, jugée trop complexe par l'éditeur de Beethoven qui décida de la publier à part, comme 17e quatuor.
On reviendra souvent à cette interprétation comme à un modèle auprès duquel on entend ces quatuors dans les meilleures conditions techniques et artistiques possibles. L'éventuelle difficulté d'écoute sera aplanie par une version cherchant plus à poétiser qu'à moderniser ces monuments de la musique de chambre.
À noter : Ce SACD hybride est compatible avec tous les lecteurs de CD. Pour bénéficier des pistes multicanales et stéréo encodées en DSD, il faut utiliser un lecteur SACD.
Nicolas Mesnier-Nature