Vladimir Ashkenazy, également connu comme pianiste, se trouve ici en tant que chef invité face à l'Orchestre de Chambre d'Europe.
La formation, fondée en 1981, comprend une cinquantaine des meilleurs musiciens européens. Elle a été dirigée par de chefs de renom parmi lesquels Nikolaus Harnoncourt et Claudio Abbado, qui lui ont permis de construire une carrière discographique de très haute qualité.
Le programme proposé est dominé par deux compositions très connues de Sibelius - son unique Concerto pour violon et la très fameuse Valse triste - et le moins connu Rakastava ("L'Amant" en français).
Cette petite pièce en trois parties, écrite à l'origine pour chœur d'hommes a cappella est proposée ici dans sa version révisée en 1911 pour orchestre à cordes avec timbales et triangle.
Premier opus du programme il permet surtout aux interprètes de s'échauffer et ne restera pas gravé dans les mémoires.
On a même l'impression que l'orchestre pourrait aisément se passer de chef.
Sibelius était violoniste de formation et n'a écrit dans le style concertant que pour l'instrument qu'il pratiquait.
Son Concerto pour violon nous permet d'entendre et de voir le jeune violoniste ukrainien Valeriy Sokolov, dont Bruno Monsaingeon - réalisateur de la présente captation - fit un film au début de sa carrière (Valeriy Sokolov - Un Violon dans l'âme).
Les tempi adoptés par Vladimir Ashkenazy sont assez lents et l'orchestre se fait discret.
Le jeu lisse et posé de Sokolov, bien qu'en adéquation avec le chef, aurait mérité un accompagnement plus présent, moins chambriste.
On a vraiment l'impression qu'il joue tout seul et se voit suivi par Ashkenazy, lequel se soumet à ses tempi.
Si la discographie compte des versions de chefs d'orchestre, il s'agit dans le cas présent d'une version de soliste.
Maîtrise technique et maîtrise de soi, recherche d'une belle sonorité en phase avec le romantisme de la partition : Sokolov a tout d'un grand, sans aucun doute.
Lorsque Valeriy Sokolov bouge, la caméra suit.
On regrettera ces trop fréquents mouvements de va-et-vient et ces hors-cadre surprenants, ce dès l'entrée du thème au tout début de l'œuvre.
Un laisser-aller dérangeant et étonnant de la part de Bruno Monsaingeon, mais qui sera corrigé assez rapidement par la suite.
Nous passerons rapidement sur la rabâchée Valse triste qu'Ashkenazy présente aimablement comme bis en s'adressant avec humour au public et qu'il dirige avec beaucoup de finesse pour nous concentrer sur le meilleur du programme : la Symphonie de Schumann.
Bien que portant le no. 2, cette symphonie est chronologiquement la troisième.
La présente interprétation se démarque des lourdes versions traditionnelles, à l'image de ce qu'a pu donner David Zinman.
Après un sostenuto tout en attente, l'explosion de l'Allegro donne le ton : très bonne dynamique, bon équilibre entre les familles instrumentales, rythmique soutenue sans faille, clarté polyphonique.
L'impression est identique pour le Finale où l'éclatement lumineux d'ut majeur arrache l'auditeur au très inspiré Adagio, une des plus belles pages pour orchestre de Schumann.
Magnifique mouvement lent en ut mineur à la mélodie inoubliable, très ample.
La tenue du chant, le lyrisme contrôlé ainsi que l'homogénéité des cordes donnent des frissons.
La caméra suit très intelligemment des solistes impliqués, aux visages très expressifs.
Le montage dynamique de plans en parfaite adéquation avec les voix d'orchestre est également une parfaite réussite dans le Scherzo aux allures mendelssohniennes, sorte de mouvement perpétuel joué avec une remarquable fluidité.
Les clins d'œil entre instrumentistes et le chef et les sourires de la ravissante premier violon sur laquelle la caméra se plaît à s'attarder soulignent le plaisir évident de jouer ensemble. Une certaine complicité s'installe enfin.
Mais Valdimir Ashkenazy, devenu chef dans la seconde partie de sa carrière, n'a pas la carrure charismatique du maestro de carrière et l'on a du mal à croire qu'il est seul responsable de cette réussite.
En effet, les excellents membres de cet orchestre, dont certains ont une carrière de soliste, semblent pouvoir se passer d'un dirigeant.
Leurs regards ne sont pas accrochés au chef, ils ont tendance à plutôt se jeter des coups d'œil entre eux.
Nul doute que la pâte sonore de la Symphonie de Schumann doit beaucoup aux liens étroits tissés avec Harnoncourt, avec lequel il a enregistré nombre de références stylistiquement très proches de ce que l'on entend ici.
Nicolas Mesnier-Nature