Le metteur en scène Götz Friedrich fait le choix de nous transporter, non dans la Renaissance allemande voulue par le livret, mais dans le milieu du XIXe sièclen soit près de 400 ans plus tard. En soi, cela ne pose aucun problème puisque le spectateur demeure dans un cadre historique de bon aloi et confortable sur le plan visuel. Les éléments d'architecture et le mobilier s'accordent à l'époque et, durant les préludes et interludes, seront mis en valeur des maquettes reproduisant les maisons renaissance d'un Nuremberg révolu. La ville ayant été rasée par les bombardements alliés, une grande photographie en fond de scène rappellera durant un court moment la désolation qui a suivi.
Les Maîtres chanteurs de Nuremberg est un opéra particulièrement difficile à scénariser car l'action y est plutôt restreinte et n'engage pas à beaucoup de spectaculaire. Excepté le pugilat de la fin de l'Acte II, rien ne viendra troubler l'ordre établi. Quelques beaux moments visuels sont pourtant à souligner, notamment le premier tableau de l'Acte III, lorsque Hans Sachs, assis à son pupitre, réfléchit sur la destinée humaine. La lumière qui l'éclaire de l'extérieur, les couleurs ocre de l'environnement intime et chargé du penseur, voilà bien un univers à la Rembrandt en plein opéra allemand romantique. Ceci étant, la longueur des scènes amène par moments des plages statiques impossibles à combler par la seule présence des interprètes dont le jeu, en outre, manque singulièrement d'imagination. Seuls les chœurs, en définitive, réussissent à animer le statisme de cette production. Par ailleurs, la baguette de Rafael Frühbeck de Burgos ne soulève pas non plus un enthousiasme débridé.
La musique des Maîtres chanteurs de Nuremberg est un cas à part dans l’œuvre immense de Richard Wagner. Plus traditionnel, plus harmonique et mélodique, mais aussi chargé d'humour, de sous-entendus et d'illustrations musicales le temps de quelques mesures, c'est bien l'ironie qui fait tout le sel de cet opéra. Ironie incarnée par le personnage de Sixtus Beckmesser, symbole de la bêtise et de la vantardise. Eike Wilm Schulte nous propose un petit bonhomme rondouillard, pétri de suffisance et finalement ridicule. Le jeu du chanteur s'avère convaincant car il évite la caricature facile, mais le chant reste sans surprise, aux antipodes de ce que l'on a pu voir et entendre, par exemple, avec Jochen Kupfer en 2011 à Nuremberg. Des autres maîtres chanteurs, on retiendra surtout un ensemble très cohérent sur le plan vocal et gestuel.
Victor von Halem campe un Veit Pogner tout en verticales, de par sa figure longiligne et sa voix grave qui en impose dans les basses. Mais là encore, la gestique s'avère très minimale. Seul le David du ténor Uwe Peper, évitant avec soin de verser dans la figure d'un Scapin fatiguant, fait exception par son dynamisme. Son timbre apporte de plus une touche légère bienvenue qui équilibre l'ensemble. Enfin, Gösta Winbergh et Wolfgang Brendel respectivement Walther von Stolzing et Hans Sachs s'affirment comme de bons, voire excellents, éléments de la distribution. Gösta Winbergh ne possède pas une voix exceptionnelle. Elle aurait même tendance à faiblir sur la durée. Mais jamais elle ne présentera de faille susceptible de casser la crédibilité de l'amoureux éperdu et du pourfendeur de l'ordre établi. Son jeu, malheureusement, est tout aussi convenu que celui de ses partenaires. Wolfgang Brendel, en revanche, justifie à lui tout seul l'attachement que l'on portera à cette version classique des Maîtres chanteurs de Nuremberg. Hans Sachs, ni sentencieux ni propre à porter un jugement blessant, est la figure même de l'intellectuel issu du peuple qui regarde vivre ses congénères et joue le rôle d'un maître de vie auprès duquel les uns et les autres viennent prendre conseil. Le baryton développe cette approche dans un chant tout aussi empathique, humain et émouvant. Son solo à la fin de la première scène du dernier acte sera d'une très intérieure et émouvante expression. Le personnage est par ailleurs défini par un jeu de scène tout en nuances.
Les deux seules voix féminines de l'œuvre assurent quant à elles le service minimum. Au côté de la Magdalena de Ute Walther, Eva Johansson interprète une jeune Eva amoureuse un peu convenue, et son timbre assez banal n'apporte rien de particulier.
Les Maîtres chanteurs de Nuremberg est un opéra très long. Aussi, le relief et les contrastes s'avèrent indispensables pour maintenir l'attention du spectateur. Dans cette production du Deutsche Oper de Berlin, on reste sagement au pied de la lettre et l'on risque par voie de conséquence de trouver le temps long. Heureusement, la prestation de Wolfgang Brendel rallie tous les suffrages par son Hans Sachs inspiré et fédérateur.
À noter : Le DVD 1 propose les Actes I et II (141’47) ; le disque 2, l’Acte III (124’45).
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Nicolas Mesnier-Nature