Verdi n'a que très peu composé pour l'église. En dehors de quelques pièces isolées - un Ave Maria, un Pater Noster, et les Quatro pezzi sacri (Quatre pièces sacrées) - le Requiem apparaît bien comme son œuvre majeure dans ce domaine, tant au niveau de l'écriture que de la durée. Composé entre Aida et Otello, on pourrait penser que la Messe des morts aurait du mal à trouver sa raison d'être au milieu d'un univers quasi exclusivement consacré au théâtre lyrique. Mais, presque perdu parmi la trentaine d'opéras composés par Verdi, le Requiem est une pièce majeure dont toute la difficulté représente justement pour les interprètes de lui trouver sa juste place.
Certaines compositions dont les titres ne laissent apparemment aucune ambiguïté ne vont pas sans poser de vrais problèmes interprétatifs aux artistes. En effet, comment ne pas percevoir certains airs tirés des Passions de Jean-Sébastien Bach comme de vraies arias d'opéra baroque ? Quelles places doivent prendre les Messes brèves de Mozart dont l'expression est bien plus proche de la scène que de l'autel ? Ces difficultés ne peuvent en tout cas pas être résolues uniquement par des pirouettes linguistiques telles que les affectionnait Rossini en qualifiant ses ouvrages pour l'église de "sacrée musique" ! Certes, certains aspects du Requiem de Verdi flirtent avec l'opéra : des arias frôlent le grand air, des effets parfois très dramatiques sont exprimés par l'orchestre (Dies Irae), et quatre solistes aux tessitures différentes se livrent à une multitude d'échanges musicaux.
Dans cette version du Requiem de Verdi dirigée par Daniel Barenboim, le problème, si tant est qu'il y en ait eu un pour lui, a été brillamment résolu, et l'actuel Directeur musical de la Scala a su surmonter son amour du théâtre pour imposer un style certainement très proche de l'esprit qu'a insufflé Verdi dans son œuvre. L'ambiguïté personnelle du compositeur vis-à-vis de la religion a donc été exploitée par le chef d'orchestre de manière à ne jamais affirmer une profession de foi musicale sans toutefois la nier explicitement. Le tour de force est en tout cas évident et le souffle nécessaire à cette très longue partition réussit à homogénéiser le discours de manière tout à fait convaincante tout au long des deux parties qui la constituent, et entre lesquelles aucune pause n'est faite.
La soprano Anja Harteros possède une voix claire très sonore qui arrive aisément à dominer la masse chorale imposante alignée derrière elle sur cinq rangées. Le son est très ouvert, les aigus sortent sans difficulté, qu'ils soient émis avec puissance ou avec retenue. Son visage demeure très concentré sur sa prestation comme, du reste, celui de la mezzo-soprano lettone Elīna Garanča. Cette dernière développe un chant très homogène et une tenue de notes parfaite, tout en nuances introspectives. Le ténor-star Jonas Kaufmann n'a pas à tant s'impliquer dans une partition peu développée pour son registre. Cela peut être un bien pour le rendu global du quatuor vocal dans la mesure où son timbre apparaît presque trop brillant et métallique pour ce type de partition. Pour peu, il aurait été facilement bien trop en avant et aurait rompu l'unité de l'ensemble. La basse René Pape confère beaucoup d'humanité dans le rendu de certaines parties. On citera en exemple son "Mors stupebit", dont les syllabes émises répandent un effroi qui conviendrait parfaitement à une situation théâtrale.
Daniel Barenboim, sans partition, insuffle par des mimiques très expressives une vie et un ressenti très probants à l'imposante masse chorale parfaitement préparée par le maître de chœur Bruno Casoni. Le rendu de la masse chorale est à ce titre un véritable exploit. Quant à l'orchestre de la Scala, il trouve dans le Requiem de Verdi une belle occasion de mettre en avant ses capacités solistiques au sein, là aussi, d'un fort bel équilibre sonore.
Le magnifique cadre théâtral de la Scala de Milan n'a pas influencé du mauvais côté les artistes interprètes de cette œuvre unique. La mystique céleste fait place au dramatique terrestre, bien plus proche de l'humain que du divin. Une vision qui nous convient parfaitement. Ajoutons que la réalisation de Andy Sommer fait de nous un spectateur parmi les mieux placés pour assister à ce somptueux concert.
À noter : l'éditeur ne propose pas de sous-titres en latin sur ce programme, mais les différentes parties du Requiem sont affichées à l'écran. La captation de ce concert existe également en CD, édité par Decca.
Lire le test du DVD Requiem de Verdi avec Jonas Kaufmann à La Scala
Retrouvez la biographie de Giuseppe Verdi sur le site de notre partenaire Symphozik.info
Nicolas Mesnier-Nature