Ce programme s’ouvre sur un paradoxe visuel qui, finalement nous profite ! La captation de ce Requiem de Verdi s’est en effet déroulée au mois d'août 2013, à un moment de tension pour les employés de l'Hollywood Bowl qui protestaient alors contre leurs conditions de travail en sabordant les projections sur grand écran - images et sous-titres - qui accompagnent habituellement ce type de représentation. Certains spectateurs sont en effet si éloignés de la scène, que de tels écrans se justifient pleinement, comme lors des concerts pop. En signe de protestation, les images de ce concert avaient été volontairement décalées avec la réalité du plateau, et les sous-titres ne correspondaient pas à ce que les chanteurs exprimaient !
Si, entre les vapeurs de cuisine et le tintement des couverts, les premiers rangs sont souvent davantage préoccupés par le dîner qui leur est servi en même temps que le concert, on peut raisonnablement penser que le public plus en retrait n’a donc pas pu pleinement bénéficier de cette performance. Les Blu-ray et DVD édités par C Major font ainsi de nous des spectateurs privilégiés, même si nous échappe quelque peu l'ambiance magique du col de Cahuenga, qui abrite l'écrin proprement unique de l'Hollywood Bowl. Mais les caméras de Michael Beyer habituées des grands événements et des défis tels le Concert du Nouvel An de Vienne nous permettent à la fois de ne rien rater de la technique exceptionnelle des musiciens du Los Angeles Philharmonic, mais apportent également une ampleur et un lyrisme à l’événement qui rend son importance palpable: survols du public, plan sur l’orchestre, le chef et le ciel pris du fond de la coquille, on y est vraiment, et assurément mieux que n'importe quel spectateur du public !
Certes, jamais la vidéo ne se substituera à la performance directe, mais il est des fois où elle est d’une complémentarité qui fait honneur au support tout entier, et c’est bien le cas ici. Sans compter le son, large, lumineux, lyrique et souvent à fleur de peau. L’événement était de taille, et sa captation en fait un compte rendu fidèle et passionné qui ajoute véritablement au bonheur musical.
Côté musiciens, nul besoin de vanter une nouvelle fois ici les qualités de ceux de Los Angeles, dont l’incroyable virtuosité se double d’une versatilité confondante. Quelle homogénéité ! Quelle énergie ! Quelle richesse de timbres ! Quelle percussivité, mais aussi quelle sensibilité ! L’orchestre a semble-t-il trouvé "son" chef, et lui répond comme un seul homme, à la fois captivé par son énergie, son charisme, mais également son évidence et sa profondeur.
Quelque chose s’est vraisemblablement passé chez Gustavo Dudamel. Serait-ce le début d’une ère nouvelle ? Certes, on retrouve chez lui ce goût pour le spectaculaire, cette déferlante passionnée et enthousiaste qui pouvait agacer au début de sa carrière, parce que débordante, mais qui trouve ici une résonance plus qu’opportune, bien évidemment tout particulièrement dans le Dies Irae. Mais ce qui n’était pour lui qu’un "opéra fou" il y a 4 ans est devenu un véritable opéra sacré où l’on se prend à suivre le chef dans un parcours longuement préparé et savamment ordonné sur le plan narratif en nous faisant passer de la colère aux pleurs, sans aucune démonstrativité.
Le chef dirige sans baguette, dans un lien direct avec ses musiciens, sans artifice, sans superflu : l’émotion pure, qui touche au plus profond.
Et les solistes d’être à l’unisson de cette approche où l’on se prend à ne plus retenir les "tubes" de la partition, mais bien les moments intimes, moments de plénitude avec une soprano cristalline et spirituelle, une mezzo sombre et profonde, un ténor d’une élégance folle, et une basse entre humanité et divinité, encore une fois sans une once de démonstration. Respects successifs à Juliana DiGiacomo, Michelle DeYoung, Vittorio Grigolo (quel bel Ingemisco !) et Ildebrando D'Arcangelo, tous parfaits et investis.
Serait-ce l'An I du nouveau Dudamel ? Probablement. Ce Requiem de Verdi est sans doute le point de départ d’un artiste-phénomène maintenant maître de son destin. Alors, pourquoi pas un passage dans une fosse d'opéra ?
Quoi qu'il en soit, un cap est franchi et la curiosité fait place ici à de la grande musique…
Lire le test du DVD Requiem de Verdi à l’Hollywood Bowl dirigé par Gustavo Dudamel
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Jean-Claude Lanot