Deux ans après Nabucco et trois avant Macbeth, l'Ernani de Verdi créé en 1844 à la Fenice était destiné à conquérir l'autre grande salle d’opéra italienne après l'incontournable Scala milanaise. Le succès fut retentissant et garantit à son auteur une ouverture de premier plan sur les scènes lyriques européennes. Autant dire l'importance de l’œuvre, rencontre choc entre un tout jeune compositeur ambitieux et un texte tiré de la pièce de Victor Hugo lequel, pour l'anecdote, se trouva indigné du lissage politique effectué par Francesco Maria Piave, le librettiste-adaptateur de Verdi, au point d'interdire que l'on mentionne son nom et d'exiger un changement de titre !
Quatre personnages tiennent la scène dans Ernani : trois hommes qui, tous, convoitent la même femme que personne n'aura jusqu'au dénouement final, évidemment dramatique. L'importance dévolue aux voix masculines de ténor (Ernani), baryton (Don Carlo) et basse (Silva) ne laisse donc pas d'autre choix à la soprano (Elvira) que de soutenir un rôle avec personnalité ou de s'effacer devant ses partenaires…
Malheureusement, Susan Neves n'a ni le charisme ni le caractère ni une originalité de jeu et de voix à même de faire face à la situation. La soprano perd toute crédibilité en "jeune fille" telle que la chante Ernani. Dès lors, pour que le ridicule ne tue pas ce couple improbable, un fort tempérament doit être de la partie. Or la voix de Susan Neves ne se hisse jamais hors d'une banalité permanente qui paraît absolument à toute épreuve. Seule une scénarisation à la hauteur aurait pu soutenir notre attention mais, là aussi le bât blesse méchamment, et la chanteuse n'est, hélas, pas la seule victime de la direction d'acteurs de Pier'Alli.
Marco Berti propose un Ernani par moments légèrement engorgé dans les intonations, sans souplesse, dur et métallique dans le timbre, sans chaleur. En revanche, Carlo Guelfi tire son épingle du jeu par la plus grande richesse de son personnage, le futur Charles Quint, toutefois très éloigné du Don Carlo dont nous gratifiera Verdi trente ans plus tard. Ce rôle de baryton léger détient, avec la basse dévolue au rôle de Silva, les mesures les plus intéressantes d'Ernani. Le baryton bénéficie en outre du personnage le plus évolutif sur le plan scénique, ce qui offre au chanteur la possibilité d'une véritable interprétation. Dans la troisième partie, son air "Oh, de' verd'anni miei" est sans aucun doute un des meilleurs moments de l’œuvre.
Giacomo Prestia expose une voix de basse qui serait presque totalement convaincante si un fort vibrato n'apparaissait lorsque le chanteur, qui n'a pourtant pas l'âge du rôle de Silva dans le livret, passe en projection forte.
Enfin, Antonello Allemandi gère l'Orchestre du Théâtre Parme avec l'acuité et le dynamisme absolument nécessaires à cet Ernani des grands débuts verdiens à la Fenice, mais pas nécessairement inoubliables pour autant.
Ceci étant, dans la sévérité de notre note globale entre pour beaucoup la réalisation scénique que nous propose Pier'Alli, également maître d'œuvre des costumes, des décors et de la lumière. Après I Puritani chez Decca et Oberto sorti également dans la collection Tutto Verdi, on ne s'étonnera pas de retrouver ici à Parme les mêmes improbables idées du metteur en scène : un centre de plateau complètement désert, trois parois de scène qui proposent de curieux effets de perspective et une luminosité globalement très sombre. Si les costumes d'époque s'avèrent magnifiques, les choristes placés en rangs d'oignons, la raideur des déplacements et la permanence d'une gestuelle théâtrale très stéréotypée frisent le ridicule. Conjuguée à la distribution moyenne, cette production génère un ennui profond accentué par une nette tendance à la symétrie visuelle qui génère encore plus de ce statisme soporifique.
Tout cela se trouve accentué par le fait qu'Ernani n'est pas Otello. À défaut d'une partition totalement inoubliable, un axe dramatique nouveau aurait été préférable à s'enfermer ainsi dans une tradition sclérosante proche du pensum.
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Nicolas Mesnier-Nature