Un Bal masqué (Un Ballo in maschera) voit le jour en 1859, soit 5 ans avant La Force du Destin, après maints déboires vis-à-vis de la censure, plus virulente que jamais à cette époque. L’œuvre, en effet, met en scène en seconde intrigue un complot et conclut sur un assassinat politique. Il était donc difficile de proposer sans aménagements un tel livret d'opéra.
En outre, Un Bal Masqué se situe à une période charnière dans l'ensemble de l'opus verdien : dernier opéra de commande écrit pour un opéra italien, Verdi ne produira plus que cinq œuvres achevées à des intervalles beaucoup plus importants que précédemment dans sa carrière. Musicalement, c'est aussi le début d'un langage musical plus raffiné basé sur des contrastes inattendus de couleurs tonales en liens étroits avec l'action dramaturgique. Verdi anticipe de ce fait ses ultimes grandes réussites Aida, Otello et Falstaff.
Un Bal Masqué exige une distribution qui ne tolère ni amateurisme, ni légèreté. Le point faible d'un opéra italien se trouve souvent du côté du ténor. Cette tessiture délicate, que Toscanini considérait non comme une voix mais comme une maladie, lorsqu'elle est soumise à une écriture travaillée, peut facilement faillir dans les graves comme dans les aigus. Qui plus est, le ténor doit faire preuve d'une constance délicate à tenir dans le médium. Avec Francesco Meli dans le rôle de Riccardo, nous sommes heureusement servis au meilleur : un timbre agréable, une force sans faiblesse, une tenue parfaite et des couleurs omniprésentes mériteront amplement les salves d'applaudissement à la fin de l'aria du dernier Acte "Ma se m'è forza perderti".
À ses côtés, le Renato de Vladimir Stoyanov barytone sans difficulté, très maîtrisé dans les effets du méchant repenti, insufflant ainsi tout au long de l'ouvrage une nuance vocale bienvenue pour servir ce personnage ni trop méchant ni trop faible. La soprano américaine Kristin Lewis incarne Amelia avec aisance, puissance et intériorité. Son timbre riche et de fort belles notes seront appréciés dans le même rôle 2 ans plus tard aux Chorégies d'Orange dans la mise en scène de Jean-Claude Auvray. En revanche l'Ulrica d'Elisabetta Fiorillo présente des insuffisances vocales flagrantes. Son vibrato est aussi envahissant que sa chevelure, et l'absence de maintien et de soutien vocal détruit l'ensemble de sa prestation. Dommage, car Verdi a composé pour ce rôle une belle partie qui s'inscrit parmi les autres sorcières et devineresses que l'on aime tant entendre pimenter une intrigue !
La surprise de la distribution se trouvera dans l'excellent page Oscar de Serena Gamberoni. Le rôle n'est certes pas très important, mais rendu avec une intensité et une agilité proprement stupéfiantes. Là encore, le public fera la différence.
La mise en scène terne de Massimo Gasparon, recréée à partir de celle de Pierluigi Samaritani, cause un peu de tort à cette production du Teatro Regio di Parma. Sombre de bout en bout, elle transforme les chœurs en témoins passifs, immobiles au premier acte, et à peine dansants au dernier. Le bal masqué, clou du spectacle, en devient même sinistre. Les costumes du XVIIIe siècle s'inscrivent dans une tradition un peu sclérosée, les déplacements stéréotypés des chanteurs ne parviennent pas à éviter un côté "machine à chanter", et il découle de l'aspect visuel un ennui qui plombe en partie le plaisir de l'écoute. Les décors peu développés rappellent par moments des tableaux de Caspar David Friedrich (scène du cimetière) ou de Johannes Vermeer (début Acte III). Mais il s'agit de rappels visuels et non de véritable création scénique.
La direction classique de Gianluigi Gelmetti se situe davantage dans la bonne lecture de texte que dans l'engagement plus profond qu'aurait mérité cette partition très travaillée. Malgré tout, ce Bal Masqué mérite d'occuper une bonne place au sein de l'intégrale Tutto Verdi, mais ce, uniquement grâce à la qualité générale de la distribution.
Lire le test du Blu-ray Un Bal masqué de Verdi à Parme en 2011
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Nicolas Mesnier-Nature