Il semble que l'opéra Aida garde profondément ancré en lui la difficulté de varier la représentation visuelle qui lui reste attachée. Il y a bien eu la production de Nicolas Joel à Zürich (éditée en DVD chez Bel Air Classiques) qui transpose l'action dans les années 1880, et celle plus récente et controversée d'Olivier Py à l'Opéra Bastille, mais il paraît problématique de parvenir à transposer Aida dans le monde moderne, ou tout du moins de détacher la narration de la civilisation antique égyptienne. Cette production du Maggio Musical Fiorentino n'échappe certes pas à la règle. Pourtant, elle évite le péplum et la grandiloquence du grand opéra historique et ce choix fonctionne parfaitement bien ici. L'intention du metteur en scène Ferzan Ozpetek ne consiste aucunement à cacher les défaillances artistiques derrière un paravent visuel qui par, sa splendeur, fera oublier de médiocres interprètes.
L'aspect visuel développé par le décorateur Dante Ferretti pour cette Aida florentine s'appuie sur des éléments architecturaux et sculpturaux très réalistes, caractéristiques de cette Égypte ancienne monumentale. Les masses des décors sont judicieusement réparties sur scène tant en verticalité qu'horizontalité, tandis que la profondeur est figurée par le ciel et l'eau du Nil, magnifiés par la beauté d'un traitement de la lumière propre à créer une véritable ambiance aux effets très réussis. Les costumes d'Alessandro Lai et les maquillages viennent parachever la réussite générale de la mise en scène et une direction d'acteurs tout aussi consommée.
La direction musicale de Zubin Mehta ne désobéit pas à ce que l'on peut connaître du chef : le raffinement et le travail en creux de cette partition de maturité lui échappent et laissent place à une direction globalisante propre à satisfaire tout un chacun. Habitué des productions hyperboliques (Turandot à la Cité Interdite ou la récente Tétralogie wagnérienne à Valencia), Mehta ne surprendra jamais et fera très bien son travail à défaut de transcender la partition.
Vocalement, la distribution des rôles soutient l'attention du début à la fin.
Les deux personnages clés de l’œuvre, Amnéris et Aida, interprétés respectivement par Luciana D'Intino et Hui He, forment un duo d'une évidente qualité. La première distille la complexité de son personnage avec un engagement de tous les instants. La puissance de sa voix de mezzo-soprano aux intonations parfois viriles lance imprécations et menaces de manière très réaliste. Certaines fins de phrases sont du reste proches du parlando. La scène du jugement de l'Acte IV en constitue le moment le plus intense, et les qualités de tragédienne de l'interprète viennent encore renforcer le réalisme de la prestation vocale.
Hui He incarne une Aida immédiatement touchante, et dotée d'une voix à la sûreté indéfectible. La soprano chinoise domine sans difficulté les ensembles vocaux sans jamais crier, maîtrise des aigus redoutables dans les nuances pianissimo et joue remarquablement un personnage écrasé par des sentiments antinomiques.
Côté masculin, on retrouve le ténor Marco Berti, toujours un peu métallique et tendu mais davantage compact dans la sonorité que son Ernani à Parme (disponible dans l'intégrale Tutto Verdi de C Major), il est vrai antérieur de quelques années. Les deux basses, Ramfis (Giacomo Prestia) et le Roi d'Égypte (Roberto Tagliavini), sont plutôt neutres hormis quelques belles notes graves pour Ramfis, un rôle plus généreux. Quant au baryton Ambrogio Maestri (Amonasro), habitué du rôle de Fastaff sur les plus grandes scènes du monde, on retiendra davantage sa formidable présence physique que sa voix, beaucoup moins impressionnante dans ce rôle.Sans déroger à la tradition interprétative, cette Aida s'avère de belle qualité, en particulier grâce à la présence des deux rôles féminins parfaitement tenus par Hui He et Luciana D'Intino. Les ensembles et les décors évitent la facilité du tape à l’œil historique et tonitruant pour conserver une sobriété nécessaire au bon équilibre musique/théâtre et soutiennent un spectacle parfaitement recommandable.
Lire le test du DVD Aida mis en scène à Florence par Ferzan Ozpetek
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Nicolas Mesnier-Nature