Au sein du World Orchestra for Peace se retrouvent, à l'image des formations comparables à celle de Lucerne réunie par Claudio Abbado, plusieurs instrumentistes issus des grandes formations orchestrales mondiales. Un orchestre de solistes dont on peut espérer le meilleur sous la baguette de son chef attitré, Valery Gergiev. Seulement voilà, avec près de trois cents concerts annuels, un maestro omniprésent comme lui peut aisément être comparé à lui-même, ce que nous n'avons pas manqué de faire avec l'excellent DVD immortalisant les trois concerts donnés Salle Pleyel en janvier 2010 avec le Mariinsky Orchestra.
Dans un répertoire qui lui sied très bien car il exprime ses racines, Tchaikovsky et Prokofiev trouvent en Valery Gergiev un interprète de choix, digne successeur des plus grands. Mais si l'on connaît bien le chef russe, on connaît aussi ses défauts : un concert peut se révéler tout autant exceptionnel de bout en bout que partiellement, voire totalement raté. La constance n'est malheureusement pas son apanage et la prestation d'Abu Dhabi, toute méritoire d'intentions qu'elle est, en constitue la preuve.
En affichant une volonté affichée de briller en entrée - cela peut se concevoir -, l'Ouverture de Guillaume Tell de Rossini tient bien son rôle mais annonce déjà les prémices de ce qui va suivre, soit une certaine superficialité et le sentiment de notes émises pour en mettre plein les oreilles.
La Symphonie Classique de Prokofiev trouve davantage d'assise, avec un Premier mouvement plutôt lent et interprété dans une optique solistique. Le Second mouvement s'engage dans une lenteur poétique séduisante, et la Gavotta sert de pont à une vigueur retrouvée, en total contraste avec ce qui a précédé.En revanche, la Symphonie no. 5 de Tchaikovsky baigne dans une banalité plutôt déconcertante. Il n'est qu'à écouter les premières mesures de l'œuvre, parfaitement révélatrices. Tout y est lisse, sans tension, peu contrasté. Les musiciens gomment tout relief qui se montrerait un peu trop pointu, toute intention trop dramatique et tout effet puissant pour nous donner une vision polie qui a bien peu à voir avec le drame sous-jacent vécu et transmis par le compositeur dans son œuvre. La Valse du troisième mouvement est digne d'être jouée dans un salon pour distraire les auditeurs… Tout cela est bien joué, certes, mais sans intention aucune, et l'ennui pointe rapidement tant la direction musicale semble ne poursuivre d'autre but que séduire un parterre nourri de louables intentions. Ironiquement, nous pourrions dire que les meilleurs moments sont les plus superficiels, comme cette Trisch-Trasch-Polka de Johann Strauss, véritables bulles de champagne mondaines tout à fait à leur place à Abu Dhabi.
Et qu'ajouter sur la réalisation de Matt Woodward, toute à la gloire du Palais des Émirats, avec ses mouvements de grue spectaculaires qui ne font que distraire inutilement le spectateur.
Même pour une bonne cause, ce programme peu cohérent ne peut nous rendre complaisant et si Valery Gergiev semble ravir tout le monde, cette prestation est à oublier. Celle éditée en DVD et Blu-ray par le label Mariinsky est d'une autre teneur…
À noter : Un petit livret en anglais consacré aux 15 premières années du World Orchestra for Peace accompagne celui du DVD.
Nicolas Mesnier-Nature