Disons-le d’emblée : sorti en 1977, Valentino appartient à la période la plus contestable du réalisateur Ken Russell qui, après avoir aligné un brelan magnifique - Love, The Music Lovers et Les Diables -, ne cessera ensuite de courir après un équilibre stylistique qui lui échappera peu à peu. Salutairement transgressif, son cinéma ne conservera plus progressivement que cette composante ce qui fera que tant critiques que public se lasseront. Valentino appartient également au genre auquel le cinéaste aura toujours aimé revenir, celui, très en vogue aujourd’hui, du biopic. Particulièrement inspiré dans son The Music Lovers consacré à Tchaikovsky, et dans une moindre mesure, son Mahler, Ken Russell sera aussi capable du pire, comme son épuisant Lisztomania. Alors, 37 ans après, quid de ce Valentino, accueilli à sa sortie avec un certain intérêt mais sans véritable passion ?
Saluons d’abord le coup de génie du réalisateur, qui, après avoir imaginé confier le rôle très épisodique de Nijinsky à Rudolph Noureev, se ravise et lui fait endosser l’omniprésente responsabilité du rôle-titre et fait appel au danseur soliste anglais Anthony Dowell pour incarner l'interprète des Ballets Russes. À près de 40 ans, Noureev, fatigué d’écumer les théâtres du monde entier verra dans ce film "une manière intéressante de se reposer", trouvant le travail de comédien bien moins intensif que celui de danseur.
En sus de l’homonymie des prénoms, les correspondances les plus troublantes vont se révéler entre les deux stars et ne cesseront d’irriguer un film un peu ingrat dans sa facture et ses excès. À 70 ans de distance, Noureev se reconnaît dans cet autre Rudy, immigré italien réfugié aux Etats-Unis. Lui qui, à l’issue d’une tournée européenne en 1962, avait décidé de ne pas rentrer dans son URSS natale. Il se reconnaît aussi dans le danseur mondain des débuts qui acquerra une immense notoriété en devenant le premier sex-symbol masculin du cinéma muet. Des nus du ballet L’Après-midi d’un faune aux turbans du film Le Cheik, les similitudes s’accumulent. Même la sordide scène de prison - du pire Ken Russell ! - trouvera écho dans sa vie personnelle quelques années après la sortie du film. Sans parler de sa vie intime. Rudolph Noureev dit avoir eu pour l’idole déchue "autant d’admiration que de compassion". "Je me suis senti concerné", confiera-t-il.
D’où un investissement total de sa part pour la vertigineuse mise en abyme que lui proposa Ken Russell, réalisateur au passé de danseur, dont il apprécie l’attirance pour la musique et le cinéma politiquement incorrect. Complice sans faille du réalisateur, Noureev ne ménagea pas sa peine pour tenter de devenir le comédien qu’il n’était pas. Malgré les réserves que son jeu, sa prononciation italo-américano-russe recueillirent à la sortie du film, on ne peut que saluer aujourd’hui sa prestation engagée, un brin exotique certes, mais à l’image du personnage qu’il incarne : ce latin lover, star du kitsch qui, entre 1921 et 1926, déclencha tant les passions que sa mort provoquera le rassemblement de cent mille fans. C’est d’ailleurs sur les efforts déployés par la police pour juguler le déferlement des pleureuses que s’ouvre le film de Ken Russell. Valentino, à partir de là, proposera foultitude de retours en arrière dans la vie de l’idole : ascension, conquêtes féminines, lunes de miel avortées, tournages de films, puis chute. Au sommet de sa gloire, Rudolph Valentino ira jusqu’à provoquer en duel un journaliste l’ayant accusé d’avoir une "influence sur la jeunesse efféminée".
Dès le début de son film, Ken Russell donne le ton. Son héros va avoir, à prouver, deux heures durant, son identité sexuelle. Jusqu’à la scène de boxe finale (rêvée par le réalisateur, puisqu’on sait que le journaliste incriminé ne releva pas le défi de Valentino). Dur combat qui le laissera K.-O. à 31 ans !
On ne peut s’empêcher de songer que le film semble vouloir servir d’accréditation visionnaire à la thèse d’Elisabeth Badinter, qui dans son ouvrage phare XY L’Identité masculine paru en 1992, soit 16 ans après la sortie en salles de Valentino, explique la mort précoce de beaucoup d’hommes par le fait que ceux-ci passent une grande partie de leur vie à prouver de façon dérisoire qu’ils ne sont pas des femmes. Elle argue, avec l’appui de données scientifiques très précises, qu’en raison d’un chromosome indifférencié au départ de la gestation, tout être humain naît femme et le reste quelques semaines, ce qui ne sera pas sans dommage pour les hommes sur leur identité à venir.
Dans son illustration de cette thèse intrigante, le film de Ken Russell n’emploie pas toujours les moyens les plus délicats. Le trait est forcé, le jeu souvent outrancier (une infinité de seconds rôles dont se détachent Leslie Caron, Michelle Phillips…) et les décors sont surchargés. De ce fait, même le 35 mm apparaît un peu étriqué pour un film qui peut générer un sentiment de claustrophobie. La qualité d'images de ce Blu-ray, nous permet toutefois de profiter d'un master Haute Définition de belle qualité qui ajoute à la facilité de visionnage de Valentino.
Seul Noureev nous semble vraiment tirer son épingle du jeu et l’on comprend que sa Fondation ait eu à cœur d’épauler l'éditeur français pour la sortie Blu-ray et DVD d’un film qui pourrait, nonobstant ses aspects pédagogiques et la thèse très personnelle énoncée par Ken Russell, demeurer au stade de curiosité.
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Jean-Luc Clairet