On l'a dit et redit à l'envi, mais nous ne saurions résister au plaisir de citer une nouvelle fois la boutade connue de Caruso : "Pour chanter Le Trouvère, il suffit d'avoir les quatre meilleurs chanteurs au monde". Après avoir écouté et regardé cette production du Met, ces mots nous reviennent à l'esprit et l'on y pense sans arrêt. D'autant que, dans Le Trouvère de Verdi, se déroule presque sans s'interrompre une enfilade d'airs et de chœurs tous plus connus les uns que les autres. Cela constitue une mise en danger pour les interprètes car notre oreille, habituée à recevoir un certain nombre d'informations de qualité, ne saurait transiger ni pardonner une erreur de casting.
Rassurons tout de suite nos lecteurs : ce Trouvère s'engage sur une très bonne voie dès l'intervention du Ferrando de Stefan Kocán. Malgré son importance relative au sein de l'opéra, c'est à lui qu'incombe la redoutable tâche d'ouvrir le bal. La qualité de la prestation engage d'emblée à prolonger la célèbre phrase du ténor napolitain rappelée plus haut en ajoutant un cinquième larron !
Puis vient Sondra Radvanovsky en Leonora. La soprano a tout pour elle : beaucoup de présence sur scène, un jeu réaliste de bon goût – elle meurt très bien à la fin de l'œuvre -, et une voix capable d'encaisser les notes verdiennes faites d'ardeur et de violence, comme celles faites de délicatesse et de modération, à l'image de son personnage. Un extrait à retenir ? Juste avant le Miserere à l'Acte IV : une synthèse de styles avec notes filées, pianissimi au bord de la rupture, fortissimo sans hurler et decrescendo ahurissant de maîtrise. Le timbre de Sondra Radvanovsky se montre lyrique par moments, dramatique par instants, belcantiste au besoin, mais toujours investi et coloré.Le "méchant" Comte di Luna trouve son expression presque parfaite en Dmitri Hvorostovsky, la romantique et abondante chevelure blanche cachant un tempérament rancunier et violent, parjure et profiteur, mais au fond victime d'un non-dit. Le jeu sur scène reflète la complexité de ce rôle, et la personnalité du chanteur occupe beaucoup de place face à ses partenaires. La voix pleine et remplie d'intentions mauvaises fait toujours merveille.
Le ténor Marcelo Alvarez en fait d'ailleurs quelque peu les frais. Paradoxalement moins sympathique pour le "gentil" Manrico, celui-ci dégage moins d'empathie face à la soprano et au baryton. Mais il ne faut surtout pas renier la chance d'entendre un ténor qui ne "ténorise" pas, chante avec aisance et dont le timbre reste toujours égal, même s'il se trouve sans doute très légèrement en retrait de ses capacités.
Pour finir avec les rôles principaux, la gitane Azucena est interprétée par Dolora Zajick. Impressionnante mezzo-soprano, toute en présence et en véracité scénique, elle impose par sa voix un personnage ultra-réaliste écorché par les secrets et les choix impossibles à faire. Une "trogne" et un corps massif, mais jamais une caricature, c'est là toute la richesse de cette interprétation appuyée par un chant dont certains pourront toutefois regretter le vibrato. Mais il est si bien en place qu'il trouve sa justification dans la terreur permanente et les tourments que vit cette femme.
De la direction de Marco Armilato, on saluera le savant équilibre des forces orchestrales installé face aux chanteurs. Quant aux chœurs, toujours en mouvement, ils trouvent facilement leur place dans ce Trouvère et évitent constamment la position en "rang d'oignons".
Enfin, avec la mise en scène de David McVicar, on reste dans la sûreté réaliste le plus souvent représentative du Met. Un fond unique et un plateau tournant évitent les ruptures entre scènes et assurent une belle continuité. Les couleurs dominantes sont opportunément partagées entre le sombre et le brun dans un ensemble qui reste assez lourd, comme le veut ce drame épouvantable. Une précision toutefois : les costumes de Brigitte Reiffenstuel projettent l'action près de 400 ans après l'époque à laquelle elle devrait avoir lieu, mais celle-ci demeure en Espagne. Ceci étant, la modernisation chronologique ne posera ici aucun problème aux puristes fidèles à la lettre de l’œuvre alors que, bien souvent, l'actualisation d'un opéra génère de fervents défenseurs mais surtout ses détracteurs les plus tenaces…
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Nicolas Mesnier-Nature