Le documentaire Stravinsky in Hollywood est organisé chronologiquement. Aussi, nous avons fait le choix de le détailler à l'attention de nos lecteurs ni anglophones ni germanophones.
Prologue
En 1937, Igor Stravinsky est à l’apogée de sa renommée : il est considéré comme le plus grand compositeur vivant en activité. Mais en 1939, une succession de chocs survient dans sa vie : il perd successivement sa mère, sa fille et son épouse, puis il doit faire face à la déclaration de la guerre.
Temps 1 - Le système des Studios
Stravinsky est sollicité par Walt Disney qui souhaite utiliser Le Sacre du printemps pour son film Fantasia. Accompagné de Véra de Bosset, qui deviendra sa seconde épouse, Igor Stravinsky prend le bateau pour New York avant de se rendre à Hollywood. Il découvre alors avec stupeur comment son Sacre a été arrangé et raccourci pour s’adapter aux images animées de Fantasia. Il ne peut cependant pas se plaindre trop fort dans la mesure où son œuvre n'est plus protégée par le copyright aux USA, et que Disney lui offre un généreux chèque de 6.000 $ ! Cette confrontation aux rudes lois des Studios tout puissants ne sera que la première d’une série de désillusions. Stravinsky se rend compte toutefois que le succès du film lui permet de toucher un public bien plus large que celui d'une salle de concert ou que les auditeurs de la radio et les consommateurs de disques. Il s’installe dans une maison confortable à Hollywood, avec pour voisinage de nombreuses élites intellectuelles.
En 1943, l’écrivain Franz Werfel suggère au réalisateur Henri King de solliciter Igor Stravinsky pour composer la musique du film tiré de son roman à succès The Song of Bernadette. Stravinsky livre sa partition mais ne comprend toujours pas le système des Studios et refuse qu’on coupe ou change une seule note de sa partition. C’est finalement Alfred Newman qui composera la musique qui sera utilisée pour le film, mais Igor Stravinsky réutilisera et adaptera sa partition pour sa Symphonie en trois mouvements.
En 1944, il est à nouveau sollicité par les Studios pour composer la musique de l’adaptation cinématographique de Jane Eyre que réalise Robert Stevenson avec Orson Wells dans le rôle de Rochester. Mais, toujours complètement étranger au système qui sévit à Hollywood, il refuse le moindre compromis quant à sa partition. Bernard Hermann remplacera Igor Stravinsky au générique, et ce dernier réutilisera son œuvre pour ses futures Odes. La même année, Stravinsky est sollicité par le Ministère de la défense pour composer la musique de films patriotiques et de propagande. Même refus, même échec, mais sa composition sera recyclée dans Quatre impressions norvégiennes.
Temps 2 : L’après-guerre et le rejet par l’Europe
La guerre s’achève et, si Igor Stravinsky apprécie davantage son cadre de vie californien, il se sent en mal de notoriété. Aussi, en novembre 1945, il fait un voyage en Europe avec l'espoir de retrouver sa gloire d’avant-guerre sur le Vieux Continent. Mais la création de ses Quatre impressions norvégiennes au Théâtre des Champs-Élysées à Paris est chahutée par les élèves d’Olivier Messiaen - dont Pierre Boulez ! -, qui s’opposent au style néoclassique de Stravinsky. Cet échec le marque et il retourne à Hollywood. Là, il adopte un rythme de travail assez normé : gymnastique puis composition le matin, jardinage puis orchestration et copie jusqu’en début de soirée. Il apprécie aussi les balades en voiture dans le désert. Ceci étant, il ne cherche pas à entrer en contact avec son proche voisin Arnold Schönberg, bien que tous les deux aient participé à une commande commune consistant en une illustration sonore du Livre de la Genèse. Mais le double échec de ses musiques de films et de son retour en Europe l’a marqué : Stravinsky renonce à tout espoir de dialogue avec un large public par le biais de son œuvre et se recentre sur un style personnel, néoclassique.
Temps 3 : La rencontre avec Robert Craft et l’abandon du néoclassicisme
En 1950, Igor Stravinsky fait la connaissance du jeune musicien Robert Craft, qui deviendra son secrétaire, assistant, conseiller… Pendant plus de 20 ans, il sera hébergé chez les Stravinsky, ce qui ne l’empêchera aucunement de fréquenter Schönberg dans la journée. Craft sensibilise Stravinsky aux œuvres des compositeurs de l’école de Vienne. Cela a pour effet de le déstabiliser et il hésite à poursuivre dans la voie néoclassique. En 1951, le décès de Schönberg, voisin jamais fréquenté, marque Stravinsky. Incapable de composer, il décide de faire un long voyage dans le désert en mars 1952. À son retour, il compose la Cantate. Les textes sacrés utilisés aborderont des thèmes redondants dans toutes ses créations à venir : la mort, puis la renaissance, qui semblent faire écho à son cheminement artistique, notamment l’abandon du néoclassicisme et la renaissance artistique par une voie nouvelle.
En 1954, Robert Craft enregistre pour CBS la musique de la seconde école de Vienne. Stravinsky assistera à toutes les séances d’enregistrement et sera influencé par cette expérience dans ses compositions ultérieures, tout en cherchant sa propre voie. Agon, en 1957, se placera en particulier sous l’influence de Webern. Après la création de Threni en 1958, l’abandon du néoclassicisme pour l’abstraction est confirmé et la transformation semble accomplie…
Cette tranche de vie est la partie la plus étonnante du documentaire. En effet, le réalisateur Marco Capalbo semble peu apprécier Robert Craft, qu'il qualifie de personnage "très controversé". Pour tenter d’atténuer le rôle capital que Craft a joué dans le tournant artistique de Stravinsky, le réalisateur se serait-il contenté de sélectionner des extraits d’interviews dans lesquels Craft aborde uniquement des sujets anecdotiques et jamais le travail musical ? À l'inverse, les extraits choisis dans lesquels Craft parle de Schönberg sont bien plus passionnants et dévoilent le fonctionnement du travail avec le maître.
Temps 4 : La renaissance
En 1962 George Balanchine et Igor Stravinsky reçoivent une commande de la télévision : Le Déluge. Marco Capalbo insiste à cette occasion un peu lourdement sur les notions de renaissance et de purification inhérentes au sujet. Malgré un échec critique, Igor Stravinsky reprend confiance. Son œuvre majeure suivante sera les très abstraites Variations, en 1963-1964. Suivent en 1966 les Requiem Canticles, dernière grande œuvre synthétisant toute sa musique. Il dira alors : "Je crois [en Dieu] parce que c’est absurde". En 1969, Stravinsky déménage à New York. Il écoute beaucoup Bach et Beethoven – quatuors et Grande fugue - par le biais du disque.
Stravinsky décède en 1971 après avoir vécu au siècle qui aura vu les changements les plus rapides de l’Histoire de la Musique
Le documentaire entier s'appuie sur le commentaire d'un unique narrateur - le réalisateur Marco Capalbo - seulement ponctué par des extraits musicaux ou des sélections d’interviews et d’archives filmées. Grâce à un montage très vivant et rythmé, le réalisateur sait mettre en images les photographies, enchaîne les archives filmées et les interviews, et l'on est vite pris par cette histoire qui nous dévoile la période la moins connue de la vie de Stravinsky, mais qui dura néanmoins plus de 30 ans. On est heureux de revoir ou de découvrir des images rarement diffusées. Lorsque cela a été possible, des enregistrements musicaux d’époque illustrent le propos. Bien que les œuvres composées durant cette période soient facilement accessibles au disque, elles sont souvent méconnues, rarement jouées et le contexte de leur création demeure ignoré. Ce documentaire vient nous éclairer utilement sur trois décennies souvent oubliées…
À noter : Ce programme est à réserver aux anglophones et germanophones. En effet, on déplore l’absence d’une piste française et, plus ennuyeux encore, de sous-titres français. Seul le texte du livret qui accompagne le disque est proposé également en français. C’est d’autant plus regrettable que, lors de sa diffusion sur Arte, ce documentaire avait fait l’objet d’une version française.
Lire le test du Blu-ray Stravinsky in Hollywood réalisé par Marco Capalbo
Retrouvez la biographie d'Igor Stravinsky sur le site de notre partenaire Symphozik.info
Laurent Ponnoussamy