Pour ouvrir ce concert du 4 septembre 2011 programmé dans le cadre du Festival de Lucerne, le séduisant Royal Concertgebouw Orchestra interprète l'Ouverture de Rienzi, une des premières œuvres lyriques de Richard Wagner. C'est un réel plaisir d'écouter cette pièce qui a mis longtemps à trouver sa place dans le répertoire des grands interprètes… Après une très belle introduction lyrique tout en cordes suaves, le quatuor de cordes du Concertgebouw, justement réputé pour la rondeur de ses instruments, fait merveille en jouant en retenue dans un tempo très maîtrisé mais d'une intensité véritable la marche pourtant bien appuyée rythmiquement. Cette retenue se montre propre à mettre en valeur le thème initial. La seconde partie de l'Ouverture suit la direction initiale tout en conservant une pulsation suffisamment légère qui évite ainsi de dénaturer la réelle qualité d'écriture de cette œuvre de jeunesse de Wagner.
La direction d'Andris Nelsons, évite à la Danse des sept voiles extraite de Salomé de Richard Strauss de sombrer dans la vulgarité orientale de pacotille, ce qui menace la plupart du temps cette pièce de concert devenue victime de son succès. Nous n'apprécierons ici que davantage la valeur des pupitres solistes de l'orchestre, nous préparant à la suite du programme…
À ce stade du concert, le Royal Concertgebouw Orchestra joue plus la retenue que l'exaltation. On notera aussi une expression musicale précise et enthousiasmante des pupitres de bois. Cependant, le chef peut parfois décontenancer par ses attitudes sur le podium.
Andris Nelsons appartient à cette jeune génération de chefs d'orchestre dont on a l'impression qu'ils se libèrent d'une certaine rigueur dans leur rapport avec les musiciens. Tout est toujours en mouvement avec Andris Nelsons : les bras évidemment, mais aussi le visage, les jambes et finalement tout le corps, très expressif. Les mains cherchent l'expression à donner à une phrase, tiennent tour à tour la baguette. On retrouve par moments l'attitude d'un Bernstein qui faisait fi de ce que l'on peut apprendre en matière de tenue sur un podium. La plus grande des libertés se place au service de l'expression la plus juste. Or, assez curieusement, ce que nous montrent les gros plans saisis par les caméras de Ute Feudel ne semble pas trouver de répondant dans le son de l'orchestre. Autrement dit, les intentions musicales incarnées par la gestique d'Andris Nelsons s'avèrent différentes des effets réels produits sur les musiciens. Tout se passe comme si les pupitres retenaient constamment leur jeu.
Dès lors, on aurait pu aller beaucoup plus loin dans l'expression du message que porte la Symphonie No. 8 de Shostakovich, une œuvre composée et créée dans les circonstances les plus difficiles durant la pire année de la Seconde guerre mondiale. Tout le texte de cette œuvre tend vers les incertitudes, la violence puis l'apaisement portés par les événements. Ici, Andris Nelsons frise le hors sujet total dès la première entrée des cordes par une indéniable absence de tension. Le rythme syncopé qui vient par la suite perd son côté obsessionnel et la sourde inquiétude de mise. Les impressionnants coups de boutoir en tutti pourraient s'exprimer de façon bien plus puissante. L'Allegretto semble comme englué et éloigné des sonorités crues et de la brutalité mêlée d'humour sarcastique caractéristiques du compositeur. Le laminoir épouvantable du mouvement suivant – Allegro non troppo - demeure bien trop mou pour produire son effet. Le Largo se pare d'un statisme instrumental (pas désagréable pour autant), et le Finale génère une certaine banalité. La Symphonie s'achève dans une grande retenue sonore.
Le paradoxe règne en maître dans cette Symphonie engagée au discours dépourvu d’ambiguïté. En lui donnant une couleur apaisée dès le début, Andris Nelsons se place en porte-à-faux eu égard aux intentions évidentes qui s'y développent. Pourtant, le chef ne "lâche" jamais ses musiciens. Mais ceux-ci semblent résister à ses desseins. L'investissement des instrumentistes lors des nombreuses parties solistes, ne laisse aucun doute, mais avec l'ensemble de la formation, tout recule en dynamique, en couleurs et en investissement. L'énergie diffusée par le chef se trouve en quelque sorte partiellement neutralisée par l'inertie de l'orchestre dans sa globalité.Pour un premier contact avec l’œuvre, on pourra se trouver séduit par la beauté de la formation néerlandaise. Mais avec le même Royal Concertgebouw Orchestra, Bernard Haitink était allé beaucoup plus loin en CD chez Decca. Sans parler des Russes, quasiment inégalables dans ce répertoire. Ce concert offre, en définitive, plus à voir qu'à entendre, si l'on vise la référence interprétative. Curieusement, Schéhérazade et le Concerto pour piano No. 5 de Beethoven, programmés le soir suivant à Lucerne, toujours avec Andris Nelsons et le même orchestre, montreront une relation bien plus accomplie entre les musiciens et leur chef. En témoignent les Blu-ray et DVD édités par C Major.
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Nicolas Mesnier-Nature