Durant les trois Actes du Chevalier à la rose, trois périodes semblent s'écouler, et les décors de Paul Steinberg qui ont bien le goût du XVIIIe à l'Acte I, versent davantage dans le début des années 1930 au second, pour finir avec les papiers peints et les couleurs acidulées des années 1970. Une manière comme une autre de symboliser l'avancée du temps, rappelée par une pendule à l'Acte I. Les personnages, en revanche, ne semblent pas vieillir. Habillés à la mode Louis XV par Nicky Gillibrand, ils conserveront cette apparence tout au long de l'ouvrage. Le Chevalier à la rose, entre autres thèmes, développe une réflexion sur le temps, sujet éminemment grave, mais la production dirigée par Richard Jones n'en oublie pas pour autant le ton comique voulu par Strauss qui voyait dans son opéra un jeu de société et de classes, une badinerie tragi-comique prenant place dans la haute société qui sait par moments se montrer émouvante.
La crainte quant au traitement peut donc légitimement être double car le risque est toujours possible d'assister à une mièvrerie dégoulinante de sentiments entre Octavian et la Maréchale, et à une parodie grossièrement plombée d'effets comiques plus appuyés qu'efficaces avec le Baron Ochs. Heureusement, il n'en est rien à Glyndebourne. Les échanges entre la Maréchale et son amant trouvent le juste ton, et deviennent même un rien émouvant grâce à Tara Erraught qui incarne fort bien le jeune Octavian en proie aux errances sentimentales de son âge face à une Maréchale à la maturité très réaliste. Toutefois, sur le plan physique, l'Octavian de Tara Erraught pourra détonner en jeune amant. Le début de l'opéra porte en soi la fin, grand moment de philosophie des rapports humains, et le jeu des deux artistes s'accorde parfaitement à peindre le glissement pragmatique et logique de la vie vers l'avenir. Mais dans son double rôle de Miriandel, la paysanne sotte, elle se métamorphose littéralement et livre un jeu d'une efficacité absolue. La voix est pleine, et particulièrement juste dans ses inflexions, face à la noble Maréchale de Kate Royal, au jeu et à la voix élégants. Avec un chant exempt de chichis, la soprano positionne subtilement sa voix entre légèreté et lyrisme plus profond.
Quant au Baron Ochs, si le livret nous oriente vers un personnage que l'on peut imaginer infect autant que grossier, Lars Woldt donne vie ici à un goujat mesuré, sorte de Falstaff moderne, très représentatif lui aussi d'une certaine classe sociale. Cette classe qui traverse les siècles en affichant son outrecuidance tant envers la gent féminine que dans son rapport à l'avenir de son capital. De fait, il nous fait bien rire ce Baron en caleçon qui, enlevant sa perruque, joue les vantards mais finalement ne maîtrise rien. Nous pouvons même volontiers trouver dans cette incarnation un de ces personnages de Feydeau enfermé en sous-vêtements dans un placard, avant de s'enfuir sans demander son reste. Lars Woldt occupe la scène avec naturel, et joue sur tous les registres que lui permet ce personnage.
La Sophie de Theodora Gheorghiu paraît plus pâlotte face à ce jeu haut en couleur, mais peut-être est-ce le rôle de victime mal définie finalement récompensée qui l'empêche de l'exprimer plus librement. La voix de la soprano manque un peu de consistance et on regrettera l'absence d'un timbre plus charmeur pour caractériser ce rôle.
Parmi les rôles secondaires, tous bien représentés, nous retiendrons la belle et courte prestation du ténor italien d'Andrej Dunaev. De même, nous accorderons un bon point au crédit du couple tragi-comique zézayant composé d'Annina et Valzacchi qui aurait pu être inquiétant mais se situe finalement du bon côté.
La gestuelle imaginée par Sarah Fahie pour définir chaque rôle, y compris pour les chœurs, apporte lisibilité au déroulement théâtral, tandis que les éclairages de Mimi Jordan Sherin mettent parfaitement en valeur les décors stylisés qui occupent parfaitement l'espace de la scène anglaise. On notera d'ailleurs que, au fur et à mesure du déroulement de l’œuvre, les couleurs deviennent plus franches. Ces décors s'associent totalement aux beaux costumes de Nicky Gillibrand et rendent le visionnage constamment plaisant.
À la tête du London Philharmonic Orchestre, Robin Ticciati n'obtient pas toujours toutes les subtilités contenues dans la partition de Richard Strauss, mais il accompagne parfaitement les parties animées et comiques. Par ailleurs, les options interprétatives sont suffisamment affirmées pour que les plus de trois heures de ce Chevalier à la rose se déroulent sans ennui.
Enfin, la remarquable captation de François Roussillon nous permet de voir ce que nous entendons avec le plus grand des naturels, et l'image respire et chante comme la partition.
À noter : L’Acte I est proposé sur le DVD 1 (72’06) ; les Actes II et III sur le disque 2 (118’50).
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Nicolas Mesnier-Nature