Bien qu'écrite par un des plus fameux mélodistes du XXe siècle, La Fille du Far-West (La Fanciulla del West) ne comporte pourtant aucun véritable grand air : pour cet opéra, Puccini a en effet choisi une ligne de chant proche du parlando, un chœur de solistes et un unique rôle féminin d'envergure, celui de Minnie. Mais l'orchestration reflète en revanche un travail tout à fait remarquable pour un opéra rattaché à l'écriture dite "vériste" qui porte généralement toute son attention sur les grands effets de gorge et de poumons, effets dont Puccini lui-même n'était pas avare. Aussi, la partition d'orchestre devient ici un commentaire quasi autonome foisonnant d'idées et de richesses qui ne demanderont qu'à être mises en valeur par un chef en quelque sorte voué à se transformer en symphoniste. On portera donc son attention sur autre chose dans cet opéra situé à part dans le corpus puccinien, les chanteurs n'ayant pas la possibilité de briller et de porter l’œuvre à bout de bras.
Le chef d'orchestre Nicola Luisotti a reçu le Prix Puccini 2010 de la Fondation du Festival Puccini pour cette production historique du centenaire, et force est de reconnaître que le travail effectué par le chef à la tête de l'orchestre du Met mérite en effet des éloges. Luisotti ne transcende toutefois pas la partition. Il est vrai que la mise en scène de Giancarlo del Monaco n'est qu'une reprise d'une production naturaliste de 1991, avec déjà les décors et costumes de Michael Scott que nous retrouvons ici.
Autant la production hollandaise de La Fille du Far West de Nikolaus Lehnhoff brillait par son modernisme dans une mise en scène qui nous plongeait dans l'Amérique des années 50, autant celle de Giancarlo del Monaco au Met nous ancre lourdement dans un décor de cinéma typique du western américain de la grande époque. Si la scène new-yorkaise s'efforce de s'émanciper de cette aura d'un autre âge par les productions résolument plus contemporaines voulues par Peter Gelb, celle-ci ne brille certainement pas par son audace scénographique. Rien ne manque à l'intérieur du saloon, ni à la cabane en rondins ni à cette rue d'une ville typique de la ruée vers l'or. Un parti pris certes conditionné par un centenaire fidèle à l'original et qui ne pouvait donc être autre… On assistera donc passivement aux déboires sentimentaux de nos héros dans un cadre de cartes postales, lequel mise sur la sûreté par une production coûteuse et consensuelle. On se laissera toutefois prendre facilement par un confort visuel rehaussé par les remarquables éclairages de Gil Wechsler qui suivent le jeu d'interprètes davantage acteurs que chanteurs.
Vocalement et dramatiquement, plusieurs éléments critiques nous incitent cependant à ne pas adhérer entièrement à cette représentation du Met. En effet, que penser de la crédibilité de Deborah Voigt qui n'a plus rien d'une jeune fille "qui n'a pas encore donné son premier baiser" ? Et de celle de son "amant" incarné par Marcello Giordani, plutôt pataud et engoncé dans son costume de cow-boy ? Les évolutions sur scène de la soprano américaine, sautillante comme une amoureuse en fleurs ou menaçante et virile comme une Calamity Jane à la détente facile au milieu des hommes tous plus ou moins épris d'elle, prêterait presque à sourire. Minnie trouvera pourtant sa scène dans la fameuse partie de poker, bien plus crédible avec un jeu de cartes entre les mains qu'en train de brandir une Winchester ou une bible. La voix de Deborah Voigt, habituée des rôles lourds à l'opéra, conserve des aigus aisés et brillants, mais son parlando trahit une fluctuation et une limite qui peuvent à la longue indisposer. Toutefois, ses scènes les plus violentes marqueront les esprits. Le ténor sicilien Marcello Giordani, fort personnage pourtant attachant, ne craint pas le ridicule avec son entrée en scène sur un vrai cheval, et l'aisance naturelle n'est pas une qualité qu'on retiendra de lui. En revanche, le chant se montre toujours très timbré et demeure un réel plaisir.
Le hasard éditorial met en présence pour le troisième rôle principal, le "méchant" shérif Jack Rance de Lucio Gallo qui interprétait déjà ce rôle sur la scène hollandaise en 2009. Autant dire qu'à quelques mois près, le baryton n'est ni plus ni moins bon : sa tessiture un peu limitée l'oblige à forcer dans les fortissimos mais son parlando se trouve paradoxalement considérablement compensé par ses qualités éprouvées d'acteur. Il est vrai que Lucio Gallo connaît parfaitement ce rôle, puisqu'on le trouve déjà dans la peau de Jack Rance dans La Fanciulla del West à Torre del Lago en 2005. Aucun doute, son jeu exprime idéalement la jalousie maladive qui le conduit à tous les excès. Et d'admirer à nouveau la partie de poker de l'Acte II, soit la grande réussite de cette production. Quant à l'idée de ramasser le colt à la toute fin de l'opéra - qui ne figure pas dans le livret – c'est là une extrapolation bien vue qui fait craindre le pire aux spectateurs qui n'ont jamais vu l'opéra et illustre parfaitement la noirceur profonde du personnage.
Notre dernière remarque sur l'aspect scénique concerne le chœur : la bagarre de l'Acte I, par trop surjouée, tombe quelque peu à plat.
Ceci étant, une telle vision réaliste de cette Fille du Far-West trouvera toujours son public et s'avère au final un complément indispensable à d'autres visions plus élaborées sur le plan visuel et dramatique. Les artistes servent au mieux cette étrange partition de Puccini, luxueusement mise en scène mais, malheureusement, sans imagination.
À noter : L'Acte I est proposé sur le DVD 1 (64'22) ; les Actes II et III sur le DVD 2 (78'33).
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Nicolas Mesnier-Nature