Les grands opéras antérieurs à la période romantique font fréquemment l'objet d'une attention toute particulière de la part de metteurs en scène et de chorégraphes que rien ne semble arrêter dans l'audace qui consiste à les revisiter. Pour cette Platée de Jean-Philippe Rameau, reconnaissons la puissance de la cure de jouvence imaginée par le metteur en scène Laurent Pelly en 2002, même si elle rend impossible à un certain nombre de spectateurs d'adhérer totalement à cette proposition.Cette remarque ne concerne en rien l’interprétation musicale de Marc Minkowski. Le chef français excelle dans presque tout ce qu'il touche et a su imprimer une marque très personnelle à son répertoire - du "baroque" jusqu'en plein XIXe siècle - faite d'énergie, de dynamisme et de contrastes. Tendu, toujours prêt à bondir, avec lui, la musique s'envole, les rythmes se répètent et se percutent sans jamais sombrer dans la facilité de certains effets. Avec une telle direction, chaque détail se rattache à un tout au service d'une clarté totale.
Quant à la distribution vocale, elle se montre parfaite et on pourra louer la musicalité des chanteurs autant que leur excellente diction et leur habileté à se fondre dans des personnages hauts en couleurs. Le rôle-titre interprété par le haute-contre écossais Paul Agnew fait ici appel à la tessiture de ténor proprement dite. Son incarnation du personnage douloureux de Platée parvient sans difficulté à nous émouvoir grâce à sa facilité à appréhender l'héroïne naïve, victime innocente de la méchanceté des autres. Mireille Delunsch réussit une performance vocale remarquable dans le rôle de la Folie avec des interventions de haute voltige vocale durant la seconde partie de l'Acte II. On remarquera également Laurent Naouri, parfait de présence vocale et scénique. Mais il serait injuste de ne pas redire la grande qualité de ce casting par ailleurs très cohérent et exprimant tout au long de l'œuvre de remarquables qualités de troupe.
Ceci posé, nous nous montrerons plus circonspect en ce qui concerne la mise en scène et la chorégraphie.
Platée est une histoire cruelle insérée dans une comédie lyrique. Rameau a signé là un chef-d’œuvre d'envergure qui trouvera une descendance dans les compositions de Jacques Offenbach au siècle suivant, sur la base de sujets mythologiques semblables. L'écriture de Rameau nous le prouve bien : satire et humour permettent tout musicalement. Mais si l'humour musical est très efficace et parfaitement négocié, celui voulu par Laurent Pelly et la chorégraphe Laura Scozzi se montre trop excessif pour convaincre totalement.Les costumes, également dessinés par Laurent Pelly, soutiennent bien les personnages : brillants et colorés pour Mercure et Jupiter-Junon, en camaïeu de verts pour les chœurs, extravagants pour la Folie, et laids pour Platée qui se croit belle. Mais la frontière qui sépare la laideur ancrée dans le sujet et celle que nous qualifierons de "décorative" est bien mince. Chacun appréciera alors avec sa propre sensibilité de quel côté sont caractérisés Platée et les danseurs qui interviennent dans les nombreux ballets contenus dans l'opéra-comique de Rameau.
Les chorégraphies laissent du reste tout aussi dubitatif. Agitation, et gesticulation gratuite : tout nous détourne effectivement des canons traditionnels des danses anciennes. Mais, comme toute systématisation même assumée, cette vaine agitation répétitive risque de nous faire adopter la même attitude que Platée au dernier Acte, que nous laissons au spectateur le soin de découvrir ! Si le public fait entendre quelques rires dans les moments les plus extravagants, gageons que l'effet global recherché n'a pas été réellement atteint.
Toutefois, grâce à la direction engagée de Marc Minkowski, cette Platée enregistrée au Palais Garnier est avant tout musicalement revigorante. Si son aspect visuel ne nous avait pas privé d'une réelle profondeur, notre point de vue aurait abouti à une bien meilleure appréciation globale.
À noter : Le Prologue et l'Acte I sont proposés sur le DVD 1 (67') ; les Actes II et II sur le DVD 2 (83').
Nicolas Mesnier-Nature