Quand on songe à La Petite renarde rusée, on oublie souvent que, derrière son image de fable animalière se cache un compositeur au soir de sa propre vie, qui porte sur le monde et ses vanités un regard empreint non pas seulement de poésie, mais bien de lucidité – en particulier dans l’Acte III dont le livret est également l’œuvre de Leoš Janáček. Un regard sur la ville et ses tourments, sur la nature, ses merveilles mais aussi sa dure loi, que le Garde-chasse finit par choisir.
Pour symboliser l’immuabilité du temps qui passe au fil des saisons, la mise en scène de Milly Still prend le parti d’organiser son dispositif autour d’un arbre central à la riche valeur tant littérale (l’abri, le terrier) que métaphorique (l’arbre du pendu de Peter Pan avec ses multiples entrées, l’arbre de vie, la métonymie de la nature dans sa globalité). Tel le terrier du Lapin Blanc, il nous fait pénétrer un pays des merveilles revisité par Le Labyrinthe de Pan. Éternel par son omniprésence, il change d’attributs au gré des saisons et contemple avec bienveillance les vicissitudes de la vie et de la mort de ses hôtes. Autour de lui, les valeurs s’opposent : couleurs chaudes ou saturées pour le règne animal, froides et monolithiques pour le monde des hommes.
Pour autant, il y a uniformément beaucoup de couleurs chez les chanteurs qui interprètent ces rôles. De la voix minérale et profondément humaine de Sergei Leiferkus (le Garde-chasse) aux sursauts hirsutes et pétillants du chœur des poules, en passant par la rusticité désespérée de la femme du Garde-chasse (Jean Rigby) et le travestissement savoureux du Renard (Emma Bell), tout concourt à faire de chaque partie vocale un élément savamment dosé d’un incroyable kaléidoscope sonore dont la direction d'orchestre de Vladimir Jurowski a le secret. Sans parler de la réelle performance de Lucy Crowe dans le rôle-titre, aussi fantasque que dramatique, parfaitement intégrée à cette ronde, avec une présence scénique et un naturel qui ne peuvent laisser indifférent.
Il n’est pas question de technique ici, mais d’évidence. Vladimir Jurowski a bien trouvé "sa" renarde, tout comme en leur temps l’avaient trouvée des chefs comme Vaclav Neumann (Hana Böhmova en 1957) ou encore Sir Charles Mackerras (Lucia Popp en 1981) et, plus récemment Dennis Russell Davies (Elena Tsallagova, 2008) pour ne citer que ceux-là.
Le London Philharmonic Orchestra est quant à lui toujours sublime d’élégance et d’éloquence, enfin pour ce qu’on peut en deviner au gré d’une prise de son malheureusement distanciée.
Les rythmes s’opposent également, et si les Actes I et II font montre d’un entrain, d’un enthousiasme, d’une fraîcheur et d’une fluidité tout chorégraphiques - beau travail de Maxine Doyle - , ils ne font qu’accentuer le contraste avec un Acte III clairement introspectif. Cette nouvelle dichotomie aux allures de virage est également parfaitement négociée par l’ensemble des interprètes et témoigne d’un véritable esprit d’équipe, un souffle fédérateur sur cette production de Glyndebourne décidément touchée par la grâce.
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Jean-Claude Lanot