Finalement, Hollywood n’a rien inventé ! L’art de la suite - ou parfois de la "préquelle" - lui est bien antérieur, et présentait déjà au XVIIIe siècle les mêmes avantages tels l’affirmation d’un univers solide préétabli, ainsi que les mêmes limites, à savoir l’affaiblissement après un premier opus génial. N’est pas l'auteur du Parrain qui veut !Témoin ce Labyrinthe, clairement présenté dès l’origine comme la suite de La Flûte Enchantée de Mozart, dont il partage le librettiste en la personne d’Emmanuel Schikaneder. C’était inévitable : avec Mozart Tamino et Pamina n’affrontaient que deux éléments sur quatre, l’eau et le feu. Il fallait bien terminer le cycle pour que Sarastro puisse passer la main. C’est à se demander si le directeur du Theater an der Wien n’avait pas déjà prévu son coup dès 1791, année de création de La Flûte enchantée !
Quoi qu'il en soit, cette suite s’inscrit tout naturellement dans la continuation de l’histoire amorcée par Mozart puisque, outre les épreuves du labyrinthe, il est ici avant tout question de vengeance. La Reine de la Nuit n’a pas dit son dernier mot et cherche à briser tout ce qui a été construit dans le premier opus, tant les couples que leurs objets magiques. Musicalement, cette filiation s’exprime par les mêmes triples accords qui ouvrent l’opéra et que l’on retrouve saupoudrés ici et là, ainsi que par les traits de flûte de Papageno, tels une madeleine de Proust replongeant immanquablement le spectateur dans l’univers mozartien.
Mais le parallèle s’arrête là. Autres temps, autres mœurs : cette "Flûte opus 2" est aussi plus "pugnace" que la première, laquelle était un véritable hymne à la paix. L’Autriche de 1798 est désormais menacée par l’armée napoléonienne et ce n’est plus un combat spirituel qui oppose les personnages ici, mais une véritable guerre, qui se termine en duel pour une dame, plus classique et prosaïque. Musicalement, si les styles des différents personnages sont respectés (vocalises pour la Reine, lyrique pour Tamino, populaire pour Papageno…), on ressent moins l’attention que portait Mozart aux détails des "moments" de chaque protagoniste, chaque air ayant son univers et sa mélodie ô combien prégnante. La musique de Peter von Winter est quant à elle davantage un excellent accompagnement, moins mélodique que dramatique, plus linéaire et donc moins mémorable, en dépit des efforts certains du chef et arrangeur Ivor Bolton présent dans la fosse. Non dénuée d’intérêt et de charme, elle est simplement sans génie. Ce qui explique la discrétion de cette œuvre au répertoire opératique, pour autant regrettable, puisqu’elle se suit assurément avec grand plaisir.
D’autant que cette production de Das Labyrinth présentée dans le cadre du Festival de Salzbourg est brillamment défendue par un plateau à l’unisson de son charme. Un véritable esprit d’équipe unit les chanteurs et l’orchestre autour de cette version intelligemment abrégée et très efficace concoctée par Ivor Bolton. On est cependant surpris par le choix de Malin Hartelius et Michael Schade pour incarner Pamina et Tamino dans la mesure où ils n’ont rien du jeune couple princier qu’on a l’habitude d’imaginer et de voir dans ces rôles, d’autant que l’écart d’âge est ici très mince avec la Reine et Sarastro. Personnages déjà mûrs, il est difficile de croire à leur initiation. Cela étant, leur performance vocale, notamment celle de Malin Hartelius - Tamino est plus effacé - compense quelque peu cet hiatus dramatique, tant la voix est belle, juste, et surtout émouvante.
Plus convaincant est le choix de Thomas Tatzl dans le rôle de Pagageno, toujours aussi crucial dans cet univers, qui réussit dès le départ à nous séduire par son jeu d’acteur drôle, solide et engagé, et sa voix rustique juste ce qu’il faut. À ses côtés la Pamina de Regula Mühlemann infuse une jeunesse et un charme malicieux particulièrement bienvenus. On retiendra également la Reine de la Nuit Julia Novikova qui, si son air n’a rien de mémorable sur le plan de l’écriture, se sort avec bravoure et aisance de ses vocalises.
Côté mise en scène, c’est un véritable défi qu’a dû relever Alexandra Liedtke. Le livret prévoit pas moins de quatorze changements de décors, dans un univers clairement spectaculaire. De la part des producteurs, le choix d’une scène extérieure installée dans la cour du Palais de la Résidence pouvait sembler une véritable gageure, mais la jeune scénographe a su faire montre d’une imagination étonnante, essentiellement en reprenant l’idée des étoiles du décor original de l’arrivée de la Reine de la Nuit dans La Flûte de 1791 et en utilisant des panneaux mobiles armés de dizaines d’ampoules. En agissant sur les motifs éclairés et sur la disposition des panneaux, elle a su à la fois créer une multitude d’espaces, mais également jouer avec la nature.
En effet, Alexandra Liedtke utilise le soleil couchant de cette belle soirée d'été salzbourgeoise comme un véritable paramètre scénographique, et dans un timing impeccable, ne fait intervenir la lumière artificielle qu’à la tombée du jour, et ce de façon progressive. Auparavant, c’est un petit théâtre de saltimbanques dépliable qui sert de toile (au sens propre) à l’intrigue, de façon tout à fait charmante.
Seule longueur dans cette mise en scène : l’Ouverture, intéressante, mais discutable. Comme dans un spectacle itinérant, les acteurs rameutent le public pour le convier à la représentation. Puis, pendant l’Ouverture musicale, ils défilent les uns après les autres pour permettre aux spectateurs d'identifier leur personnage. Certes, on reste bien dans l’univers du décor, mais cela crée une sorte de double "générique" qui alourdit le début du spectacle sans pour autant apporter de détails sur l’histoire et les personnages. Par exemple, pour les raisons exposées plus haut, on cherche désespérément qui peut bien être Tamino parmi cette succession de personnages !
Il convient également de souligner le travail remarquable des costumes. Entre les dentelles de la Reine et de Pamina et les frous-frous fantasques de Papagena et de la famille de Papageno (dont on rencontre les irrésistibles parents !), il est difficile de ne pas tomber sous le charme des remarquables créations de Susanne Bisovsky et Elisabeth Binder-Neururer.
En réalité, peu de chose vient ternir le plaisir la découverte de Das Labyrinth, traitée avec intelligence et une infinie poésie, dont Blu-ray et DVD constituent des témoignages des plus agréables. Ne manquent à ces belles éditions que quelques bonus, pourtant tournés par le Festival de Salzbourg pour la promotion du spectacle, et qui auraient apporté une pédagogie appréciable au spectacle.
Lire le test du Blu-ray Das Labyrinth de Peter von Winter à Salzbourg
Jean-Claude Lanot