Goya du meilleur documentaire 2015, Paco de Lucia - La Busqueda ("La Quête", en français) est le documentaire réalisé par son fils Curro et ses filles en hommage au plus grand guitariste flamenco de tous les temps : el "maestro" Paco de Lucia.
Présenté pour la première fois 6 mois après la disparition du guitariste de génie, ce film retrace sa carrière artistique, toute sa vie, et fourmille de vidéos inédites et d’anecdotes mémorables racontées par Paco de Lucia lui-même. En bonus de cette luxueuse édition, 2 CD offrent une sélection des morceaux les plus emblématiques de la carrière du guitariste.Certains faits marquants sont riches d’enseignements pour tout mélomane et pour tout admirateur du génie artistique.
Prenons pour exemple l’importance de l’environnement durant l’enfance. À Algésiras, dans une Andalousie baignée par une atmosphère flamenca, le très jeune Paco admirait les artistes qui défilaient le soir à la maison : les meilleurs guitaristes, avec notamment le "maître" Nino Ricardo, ami de la famille, mais aussi les meilleurs chanteurs et danseurs de l’époque. C'est ainsi que, enfant, il s’imprègne du Flamenco, tant dans sa composante rythmique - le "compas" - que dans sa composante harmonique.
Le jour où le jeune Paco prend la guitare pour la première fois, il en joue avec une telle facilité que son père réalise immédiatement l’énorme potentiel de ce fils prodige. Ce père, Antonio, décèle un talent exceptionnel chez son fils et se montre d'une exigence extrême au quotidien afin que Paco développe ce don et donne le meilleur de lui-même. Paco de Lucia dira toute sa vie que le génie, c’est un peu d’inspiration et beaucoup de travail. Après l’environnement, c’est donc un homme - le père - qui va cultiver, comme on arrose une plante, le talent de son fils. Mais ce talent se cantonne pour l'heure, et c'est déjà beaucoup, à la virtuosité technique…
Paco réalise très vite que la guitare va devenir pour lui le moyen de s’émanciper de sa condition sociale. Plus tard, il avouera que son instrument est même devenu un véritable mode d’expression pour lui, cet homme qui se sait si timide et introverti.
Autre moment clé du documentaire, Paco parle de sa rencontre avec le maître Sabicas, compositeur et guitariste de flamenco de génie. Cette rencontre sera déterminante pour Paco. En effet, le maître Sabicas lui conseille de dépasser le stade de l’interprétation pour aller vers celui, essentiel pour tout artiste accompli, de jouer sa propre musique… Là se produit le déclic : Paco de Lucia, dorénavant, jouera du Paco, révolutionnant disque après disque la guitare flamenco…
De fait, sur le plan proprement technique de la guitare, Paco de Lucia saura intégrer les techniques de ses prédécesseurs de renom tels Sabicas et El Nino Ricardo, tout en revisitant de fond en comble la pratique de la guitare flamenco. En outre, sur le plan de la créativité, de la composition, il montrera une créativité sans limite.
De sa rencontre et de ses années de collaboration unique avec un autre génie, Camaron de la Isla, considéré unanimement comme le plus grand chanteur de flamenco de tous les temps, Paco dira lui-même qu'il s'agit de sa plus belle rencontre artistique. Entre 1969 à 1977, il enregistrera 9 disques avec Camaron.
Les rencontres, notamment avec les musiciens de jazz, apporteront un élément déterminant au guitariste qui, depuis des années, s'exprime avec un son qui lui est propre grâce à ce "toque", cette façon de jouer si personnelle dans la manière de toucher les cordes et d'instiller la pulsation flamenco dans les morceaux. L’improvisation lui ouvrira également de nouveaux horizons. Mais, finalement, c'est pure logique pour une musique aux multiples influences que de s'enrichir auprès de nouvelles et d’être influencée par l’évolution d'autres styles.
L’intérêt du documentaire permet également d'approcher les remarquables qualités humaines du musicien. Et l'on découvre un homme plein d’humour, lucide, tendre, à la fois fort et fragile. Si le génie est si attachant c'est que, finalement, il nous ressemble. Celui que la guitare a hissé au sommet de la reconnaissance artistique internationale a su rester humble, et celui qui aime à répéter que la grandeur réside dans la simplicité nous en fait une démonstration éloquente dans ce film. Ce n’est plus l’artiste qui parle mais l’homme qui, fort de ses 66 années, se retourne et redécouvre - émerveillé - tout le puzzle de cette existence. Une existence qui, en 2004, l'a fait accéder au titre de "Premio Principe de Asturias de las Artes", distinction la plus prestigieuse d'Espagne. Laissons la parole au jury : "Considéré comme le plus universel des artistes flamenco, son style a fait école parmi les plus jeunes générations et son art est devenu un des meilleurs ambassadeurs de la culture espagnole à travers le monde […] Tout ce qui peut s'exprimer avec les six cordes d'une guitare peut sortir de ses mains, qui s'animent avec l'émouvante profondeur de la sensibilité".
Tourné dans les mois qui ont précédé sa disparition, Paco de Lucia - La Busqueda constitue ainsi un témoignage ultime et superbe sur toute une carrière artistique qui se raconte sous l’œil bienveillant de son fils et de ses filles. Curro Sanchez Varela, le réalisateur, a réussi l’exploit d’être aussi perfectionniste que son père. En effet, après la preuve d’amour que Paco lui a offerte en lui dédicaçant un morceau sublime ("Mi nino Curro", extrait de l’album Siroco - 1987), Curro offre à son tour à la postérité un documentaire complet, exigeant, où rigueur rime avec beauté… Il parvient à nous passionner par l’incroyable processus du développement artistique de l'interprète.
Paco de Lucia - La Busqueda nous montre brillamment l’influence de l’environnement chez un enfant doté de prédispositions exceptionnelles, puis le travail acharné si nécessaire à l'épanouissement du talent inné et, enfin, le rôle incontournable de la personnalité de l’artiste, qui doit persévérer à chaque instant dans sa quête de l’excellence. Un film à voir toute affaire cessante. "Olé Paco ! Olé Curro !"
À noter : "Paco de Lucia - La Busqueda" est luxueusement présenté en Digipack 3 volets sous étui cartonné. Deux CD de musique remasterisée avec beaucoup de soin depuis les bandes originales - le premier de 17 pistes (79’28), le second de 12 pistes 78’13) accompagnent le DVD du documentaire. Un livret couleurs de 28 pages en espagnol, très bien fait, présente de nombreuses photos de l'artiste et de documents liés à sa carrière. Un bien bel objet, toutefois réservé aux lecteurs comprenant l’espagnol ou lisant l’anglais car le DVD ne propose pas de sous-titres français.
Jean-François Sanchez