Il en est qui s’accrochent à la voix qui a fait leur succès, quitte à ce que le temps leur rappelle à leur corps défendant qu’on ne peut être et avoir été. Et pour certains, plus sages, le temps qui passe est une opportunité, une fenêtre ouverte sur un possible qui ne l’était pas durant leur apogée…
Natalie Dessay est de ces exploratrices lucides, curieuses et passionnées dont l’imagination ne se limite pas à ses interprétations opératiques. D’où cette idée d’explorer avec la même envie de nouvelles facettes cette voix qui n’a pas fini de nous charmer, mais cette fois dans un registre plus "normal", comme le dit elle-même la diva ! Le terme a de quoi troubler tant, on le sait bien, rien avec Natalie Dessay ne peut être "normal". Il en va ainsi de cette rencontre inédite avec la personnalité et le répertoire de Michel Legrand, qui connait là une deuxième jeunesse.
Ceci dit, il faut bien avouer que, malgré ses immenses qualités, la première étape de ce projet réalisée au disque n’avait pas entièrement convaincu. En effet, la transition de la soprano à l’univers du jazz, de la comédie musicale et de la variété la plus noble, s’accompagnait de soucis au niveau du placement vocal, du passage d’une voix à l’autre et d’approximations parfois surprenantes. Mais la démarche était prometteuse, la personnalité de la chanteuse étant bien présente.
Mais toutes ces réserves émises au sujet du disque sont ici balayées par l’aisance et le naturel de l'interprète qui magnifie littéralement chacun des titres choisis. Le timbre est posé, clair, et ce, malgré les aléas de la performance en extérieur, remarquablement maîtrisé. Également au rendez-vous, le plaisir de voir la chanteuse passer par-dessus la technique et de constater le courant qui la relie au répertoire et à ses comparses musiciens.
Mention spéciale pour les vétérans Pierre Boussaget et François Laizeau à la contrebasse et à la batterie, dont la décontraction et la presque nonchalance font de chaque sursaut une merveilleuse surprise nimbée d’une élégance qui tire à la noblesse. Si le guitariste Pierre Perchaud est plus transparent, il ne démérite pas pour autant et s’intègre avec une belle présence discrète dans cet ensemble.
Vient alors Laurent Naouri, avec ce timbre toujours superbe et, une fois encore, cette élégance qui vire cette fois à l’émotion quand il s’agit de chanteur un duo d’amour avec sa belle… Quitte à se mélanger dans les paroles ! Mais ce n’est là qu’un témoignage de l’émotion vraie qui habite l’ensemble de ce concert, piloté par un Michel Legrand généreux dans sa relation au public, drôle quand il s’agit de remonter avec lui l’histoire du jazz, et incroyablement magique pour ce qui est d'habiter ce programme d’une âme incomparable.
La caméra de Gérard-Taratata-Puliccino nous permet d’entrer encore davantage dans l’alchimie de ce qui se crée sur scène, pour ainsi dire à l’intérieur de la contrebasse quand elle improvise sublimement, accompagnant chaque geste du pianiste au gré de la lumière qui descend doucement sur l'Orangerie du Château de Versailles. Un moment en tout point magique !
Lire le test du Blu-ray Natalie Dessay et Michel Legrand : Entre Elle & Lui
Jean-Claude Lanot