C’est dans un Orient de lumière, et des Lumières, magnifiquement rendu par la décoratrice Vicki Mortimer, que nous plonge cette production aux couleurs nettement inspirées des peintres orientalistes du début du XIXe siècle. Ocres, jaunes et bruns à la manière d’un Cogniet ou d’un Gérôme baignent en effet le plateau dans une lumière parfaitement maîtrisée.
La direction de Robin Ticciati, à la tête de l’Orchestre des Lumières, est plus sage que ce qu’on a l’habitude d’entendre chez les baroqueux, ou chez un musicologue comme Mackerras. Mais, là encore, la lumière est au rendez-vous. Quelle transparence dans cette lecture de la partition qui met en relief toute la subtilité d’une musique trop souvent traitée telle une comédie ! Les détails de l’orchestration mozartienne surgissent ici avec beaucoup d’élégance et de sens dramatique, tandis que des bois particulièrement fruités apportent un contrepoint délicat aux cordes. Sous une apparente évidence, tout cela est savamment équilibré, balancé et étalonné. Avec cette approche délicate nous ne nous situons pas dans le spectaculaire, mais bien dans le sensible.
Les chanteurs, par conséquent, ont un boulevard pour s’exprimer, et ils ne s’en privent pas. Le plateau est à ce titre particulièrement bien choisi, à une réserve près, celle d’Edgaras Montvidas, dont le timbre nasillard et étriqué présente quelque chose de contraint qui ne va pas dans le décor. Son jeu d’acteur et sa technique ne sont pas en cause, bien au contraire, car le ténor possède même un jeu intéressant et une belle présence. Mais les couleurs de sa voix ne rentrent pas dans le puzzle, ce qui est dommage dans un rôle aussi important.
Pour le reste, c’est en revanche un véritable bonheur, qui commence avec Tobias Kehrer dans le rôle d’Osmin. Sur le plan de la technique vocale, c’est un régal, et la basse de jouer sur les timbres granuleux, les largeurs ou les pics avec gourmandise. Mais également sur l’aspect théâtral, essentiel, du personnage, à la fois massif, effrayant et profondément touchant et maladroit avec Blonde. Les deux rôles féminins, d’ailleurs, sont eux aussi particulièrement attachants, avec le timbre superbe de la Konstanze de Sally Matthews, en particulier à l'Acte I, et l'excellente Mari Eriksmoen dans le rôle de Blonde.
Tous les chanteurs réussissent la performance de ne pas privilégier le chant sur la comédie, ce qui fait de cette représentation un moment de plaisir tant musical que théâtral.
À ce propos, le Pacha Selim du comédien Franck Saurel est en tout point bouleversant. Sa tendresse envers les enfants, son amour brûlant pour Konstanze, son désarroi et surtout sa dignité face au revers sentimental qu'il prend de plein fouet, font de lui un grand Sélim. On comprend alors que David McVicar n’ait pas souhaité couper les dialogues originaux, comme cela se pratique presque toujours, et l'on en apprend bien davantage sur ce personnage bien plus riche qu’il n’y paraît, ainsi que sur les relations entre Orient et Occident à l’époque de Mozart. Cette mise en perspective tout à fait passionnante rajoute encore aux remarquables qualités de cette version par ailleurs très bien filmée par le réalisateur François Roussillon qui atteste une nouvelle fois de la musicalité et de la justesse de ses captations de spectacles vivants.
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Jean-Claude Lanot