En découvrant avec gourmandise Una Follia di Napoli, on en viendrait à se demander comment la flûte à bec a mis tant de temps pour se constituer un véritable répertoire. Comme l’explique fort justement le très bon livret du spécialiste italien de la musique napolitaine Dinko Fabris, il faut en effet attendre 1724 pour voir publié le premier recueil d’œuvres pour cet instrument en solo. Auparavant, ce n’était qu’un instrument d’accompagnement pour la voix, moyen d’expression privilégié de toute musique italienne qui se respecte, et de l’opéra en particulier.
Surnommé à juste titre "le plus grand virtuose de la flûte à bec" par The Independent, Maurice Steger s’est d’abord fait un nom au sein des plus grands ensembles baroques européens, d’Europa Galante aux Violons du Roy en passant par The English Concert ou encore Musica Antiqua Köln. Véritable découvreur de musiques et inventeur de concepts, il a conçu cet album comme un conteur d’histoires : celle de Quantz venu visiter cette année-là la ville de Naples dans l’espoir d’y rencontrer Alessandro Scarlatti. Chose faite, et même bien faite dans la mesure où il parviendra à faire aimer la flûte au vieux maître qui détestait cet instrument jugé par trop faux ! Au cours de ce voyage, découvertes, surprises, plaisir et pédagogie se combinent en une véritable déclaration d’amour pour ce répertoire !
Le disque
Un CD de 23 pistes (72'39) est proposé au côté du DVD. Dès les premières notes de Domenico Sarro, le voyage commence et la magie se déploie. La magie d’un son incroyable, d’attaques virevoltantes, d’une virtuosité et d’une légèreté étonnantes, d’une maîtrise sans pareille des affetti en modulant l’émotion quasiment du rire aux larmes au gré d’une simple inflexion de la phrase ou d’une modulation toute baroque glissée subrepticement par le compositeur, dans une vocalité qui n’a rien à envier au monde de l’opéra. Pas un souffle qui se perde, tout est donné à la musique, à l’émotion et aussi au partage. Ce sont à l’évidence des complices et des passionnés que le flûtiste-chef d’orchestre a réunis autour de lui, et auxquels il laisse volontiers la vedette dans la Sinfonia 1 de Scarlatti, uniquement dédiée aux cordes.
Quelle cohérence dans cet ensemble dont on retiendra notamment la grâce de la viole de gambe de Brigitte Gasser ou encore la virtuosité étourdissante du violoncelliste Mauro Valli, notamment dans Scarlatti. La magie vient également de ce continuo protéiforme : clavecin, théorbe, archiluth, guitare baroque, orgue et surtout psaltérion, tout sauf décoratif. Un continuo participatif tant sur le plan harmonique que mélodique voire contrapuntique, comme une touche de poussière de fée délicatement saupoudrée, telle le liant d’un peintre entre le fond et la touche.
La "Follia" est bien là, presque inhumaine dans sa diabolique virtuosité "allegrissimo presto", mais c’est bien vite oublier ces mouvements lents tels le Largo e staccato de la Sinfonia en la mineur de Nicola Fiorenza où le chuchotement de la flûte se fait murmure caressant, où la moindre oscillation du souffle se fait pour nous chavirement. Un bonheur sur tous les plans !
Le DVD
Même si ce genre de documentaire n’échappe pas à l’effet vitrine, il est toujours agréable d’entendre les artistes parler de leur art. Et même si Maurice Steger parle finalement assez peu durant les 26' de ce programme, cela suffit pour percevoir clairement la passion qui l’anime. Passion, déjà, pour son instrument, et cela se ressent dans sa voix, dont la délicatesse du souffle se révèle à chaque instant, et dont la gourmandise musicale se dessine à travers sa "prise de bec", comme s’il embrassait l’instrument.
Passion pour cette musique brièvement explicitée dans ses origines, sa spécificité et son esprit, mais surtout partagée au sein d’un cercle fait d’échanges et de dialogues subtils dans un équilibre parfait. À ce titre, le continuo aurait pu avoir davantage sa place dans le mixage final tant la richesse de ses timbres et de ses improvisations participe autant que les dessus au discours de l’œuvre. C’est d’ailleurs un plaisir de voir les visages des interprètes tantôt concentrés (les violons) tantôt réagissant avec un émerveillement tout enfantin à de nouvelles surprises venues soit de la partition soit d’un collègue musicien.
Un programme savamment préparé tant sur le plan technique qu’historique et qui, pour autant, sait faire place à l’imprévu comme ingrédient essentiel du plaisir. Un disque comme on les aime. Un disque qui fait du bien !
À noter : Cette édition limitée DVD + CD de Una Follia di Napoli est présentée dans un élégant digipack très soigné, accompagné d'un livret en français, anglais, allemand et italien.
Les sous-titres proposés sur le DVD s'activent en fonction des langues parlées (allemand et italien).
Jérémie Noyer