En marge de la renommée très établie des deux amis musiciens que sont le pianiste Daniel Barenboim et le chef d'orchestre Pierre Boulez dont nous avons déjà critiqué dans nos colonnes la rencontre lors du concert d'ouverture du Festival de Salzbourg 2008 paru en DVD chez C Major, il est permis de s'interroger sur la réelle valeur de ce que l'on entend en ce mois de juin 2011 à la Philharmonie d'Essen.Dans un premier temps, il est intéressant de noter que Pierre Boulez, dont le seul nom fait frémir les tenants de la tradition orthodoxe musicale interprétative, oriente de plus en plus son répertoire vers l'époque romantique. Il opère ainsi un curieux retour en arrière chronologique qui paraissait absolument inconcevable il y a quelques années, et ses prestations qui touchent de grands compositeurs romantiques comme Bruckner, Wagner ou Mahler sont loin de faire l'unanimité. Or, à un âge très avancé, le chef français se retrouve à jouer Liszt, soit la figure musicale romantique par excellence, confiné dans un rôle d'accompagnateur devant un orchestre à la longue tradition germanique. Il faut rappeler que la Staatskapelle Berlin est sous la tutelle artistique de Daniel Barenboim, son chef attitré. Cela place encore davantage en porte à faux le pianiste-chef assis devant son instrument. Il est, en effet, tout à fait capable de diriger depuis son clavier. Le spectateur de cette captation ne manquera pas de remarquer au passage quelques œillades aux pupitres vers lesquels il se tourne instinctivement comme pour donner les départs. Un plan montre du reste le violoncelliste solo du Concerto No. 2 regarder son chef habituel au piano plutôt que Pierre Boulez à la direction. Daniel Barenboim ne pourra s'empêcher non plus par moments de battre la mesure de sa main gauche. De même, si l'on observe bien les images du générique du concert, on assistera à une petite mise au point des deux hommes sous les regards amusés des musiciens qui en disent long…
La direction de Pierre Boulez diffuse une image apaisée. Les gestes sont calculés et mesurés avec précision et économie. On comprendra mieux sa manière de diriger l'orchestre avec les deux morceaux purement orchestraux du programme, Faust Ouverture et Siegfried Idyll de Richard Wagner. Deux pièces peu connues du répertoire wagnérien, presque des péchés symphoniques au regard de la production lyrique, mais que l'on aime retrouver et écouter de temps à autre pour nous rappeler que le maître de Bayreuth avait aussi quelques faiblesses. Quoi qu’il en soit, Pierre Boulez nous affirme ici une fois de plus qu'il n'est point de romantisme dans la musique de Wagner, comme cela avait été le cas lors d'une Tétralogie d'anthologie à Bayreuth ! On notera en outre un parti pris de tempi plutôt lents pour Wagner mais aussi, somme toute, pour la totalité du concert. Pour une œuvre à la fois douce et contemplative comme Siegfried Idyll, l'optique se défend, mais pour les Concertos de Liszt, qui demandent vivacité et énergie, cela est moins recevable. Pourtant, l'art de la clarté, de la mise en valeur des parties solistes de l'orchestre – la flûte, la clarinette, le violoncelle et le triangle ! - montre un très bon équilibre dans la gestion de la masse orchestrale. De même, une sorte de raffinement aux antipodes du tape à l’œil brillant reste appréciable dans ce type de musique, et le pianiste se plie à cette volonté et modère également les effets de manche. L'entente entre chef et soliste fonctionne cette fois, ce qui n'a pas toujours été le cas, comme en témoigne le concert d'ouverture à Salzbourg en 2008.
La réalisation de la captation de ce concert vidéo assurée par Enrique Sánchez Lansch se montre de bonne facture, si ce n'est quelques plans sur le profil gauche du pianiste devant lequel un archet zèbre l'écran de manière désagréable. Sur le plan de la prise de son, tout au long des Concertos, on déplorera le très gênant bruit généré par le pied droit de Daniel Barenboim sur l'estrade lorsqu'il actionne la pédale du piano.
Quoi qu'il en soit ces Concertos de Liszt n'apportent strictement rien au point de vue interprétatif. Malgré la standing ovation déclenchée à la fin du concert, reconnaissons que de grands noms ne suffisent pas à produire un moment musical inoubliable. Tant s'en faut.
Lire le test du Blu-ray des Concertos de Liszt par Daniel Barenboim
Nicolas Mesnier-Nature