Contrairement à ses glorieux aînés qui se voulaient spectaculaires et naturels, tout du moins au niveau des décors – l'Espagne de Francesco Rosi pour Carmen et la villa palladienne pour le Don Giovanni de Joseph Losey - La Bohème s'enferme dans la reconstitution en studio, aussi bien pour les intérieurs que les extérieurs. L'impression qui s'en dégage voyage donc bien entre l'opéra filmé et le film-opéra. Certes, l’œuvre de Puccini s'oriente davantage vers les scènes intérieures et porte moins à l'ouverture sur des images naturelles somptueuses. Mais la reconstitution telle qu'elle est assumée, hormis quelques anachronismes discrets, tels la voiture qui traverse l'écran ou le style des toiles peintes, obéit à un classicisme réconfortant et sans surprise.
L'interprétation musicale proprement dite amène d'autres réflexions.
Deux partis pris conditionnent une position auditive malaisée pour l'amateur d'art lyrique. D'une part la soprano Barbara Hendricks n’ayant, semble-t-il, jamais accepté de jouer le rôle sur scène, la viabilité de sa Mimi ne pouvait sans doute fonctionner que devant les micros. D'autre part, la production avait prévu de lui donner comme partenaire principal José Carreras en Rodolfo. Mais celui-ci, tombé gravement malade une semaine après les premiers plans mis en boîte, n'a pu que prêter sa voix, déjà enregistrée, à Luca Canonici, lequel a accepté de jouer en play-back pour toute la durée du film. Reste également à se poser la question de l'interprétation du ténor espagnol en regard de celle de Barbara Hendricks. Les deux timbres se marient parfaitement, impossible de dire le contraire, mais la légèreté des voix et l'absence d'effets dans leur prestation entrent presque en contradiction avec la musique de Puccini telle qu'on l'entend habituellement. Comparée à celle de grands ténors et de super-divas, la prestation paraît bien malingre. Il en va de même pour la direction du chef James Colon qui minimise lui aussi les effets… Alors, fade et sans saveur cette Bohème ? Très critiquée dans la presse à l'époque de sa sortie, on pourra prendre sa défense, justement pour ses faiblesses qui marquent une approche différente et respectable.
Le documentaire figurant en annexe du film, assez objectif, pose en outre certaines questions : pourquoi s'évertuerait-on à surjouer en permanence Puccini ? Et l'on va même plus loin : le compositeur italien n'aurait rien à voir avec le vérisme tel que l'entend l'Histoire de la musique. Soit une manière de dire que Leoncavallo, Mascagni ou Cilea n'ont pas la trempe orchestrale de leur confrère. De notre point de vue, si un Karajan associé à Luciano Pavarotti ou Mirella Freni sont considérés comme une référence en la matière, il s'agit pourtant bien de surenchère ! Dès lors, une approche beaucoup plus fine telle que celle proposée par le chef Andris Nelsons à Covent Garden en 2009, apporte un bain de jouvence inattendu pour ne pas dire inédit à cette Bohème [lire le test du Blu-ray paru chez Opus Arte]. Mais aussi, et cela compte, avec des chanteurs taillés pour les rôles !
En conclusion, ce film-opéra de La Bohème s'adresse davantage à un grand public peu soucieux des finesses interprétatives, et plus intéressé par une globalité de bon aloi.
À noter : Ce programme propose des sous-titres français pour sourds et malentendants.
Lire le test du DVD La Bohème de Luigi Comencini avec Barbara Hendricks
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Nicolas Mesnier-Nature