L'attrait de cet Inimico delle donne est, bien sûr, de nous faire passer quelque deux heures avec le rare Baldassarre Galuppi mais tient également à la redécouverte d'un inédit, ce qui est toujours appréciable dans une sphère éditoriale le plus souvent davantage axée sur des redites commerciales.
Baldassarre Galuppi est aujourd'hui davantage connu pour sa musique sacrée et instrumentale. Pourtant, maître de l'opéra en son temps, il en écrivit une quinzaine en collaboration fréquente avec Carlo Goldoni. L'Inimico delle donne, créé en 1771, place bien cette œuvre divertissante dans l'esprit et le style de son époque.Nous passerons rapidement sur l'intrigue passe-partout rappelant de loin celle du Turc en Italie ou de L'Italienne à Alger de Rossini. La confrontation de deux cultures totalement différentes et les imbroglios qui en résultent fondent toute la dramaturgie, parfois comique et souvent lourde. Rossini savait dépasser ces canevas faciles par une musique trépidante immédiatement séduisante, mais avouons que Galuppi n'arrive pas à nous emporter de la même façon dans sa Chine imaginaire. Sans doute l'absence d'airs virtuoses ou intimes suffisamment développés nous laisse-t-elle un sentiment de frustration. Les chanteurs n'ont guère la possibilité de briller et, plus grave, d'exprimer des sentiments. Chaque intervention sera brève et peine à provoquer un réel enthousiasme.
En revanche, la composition orchestrale séduit, toujours chantante et pleine de vie. Il faut dire que dirigée par un spécialiste de l'époque baroque, l'excellent Rinaldo Alessandrini, tout prend sens et s'anime avec aisance et fluidité. L'Opéra Royal de Wallonie ne joue pas sur instruments d'époque, mais la touche du chef suffit à lui apporter une couleur XVIIIe siècle.
Les chanteurs font naturellement les frais de cette écriture peu propice à la mise en valeur des voix. Il devient dès lors peu aisé de se faire une idée du talent des interprètes réunis sur le plateau. Il ressort néanmoins quelques caractéristiques, mais aussi une tendance générale à l'uniformité privée de caractère.
Côté féminin, Anna Maria Panzarella ne développe pas un caractère vocal particulier pour Agnesina, personnage de femme qui n'aime que les femmes. Quelques mimiques offusquées succèdent à des minauderies très théâtrales bien peu surprenantes. Du trio de jeunes filles, Liesbeth Devos (Xunchia) est l'interprète la mieux mise en valeur grâce à un air de virtuosité - très bref - qui apparaît bien tardivement mais lui permet de projeter un superbe aigu.
Pour les rôles masculins, notre jugement diverge peu. Filippo Adami (Zon-Zon) ténorise aisément mais une dominante nasale et métallique se fait entendre dès que les notes s'élèvent. Son jeu est assez naturel dans ses costumes d'empereur qui n'aime que les hommes et justifie le titre de l'opéra. Juri Gorodetski (Ly-Lam) possède une voix assez similaire dans le même registre, mais encore plus légère et privée de couleur spécifique. Le baryton Alberto Rinaldi campe un Geminiano affairé avec ses extravagantes perruques européennes et "bouffonne" assez efficacement, mais là aussi de manière convenue. Sa voix compense en permanence à l'aide du vibrato mais sans laideur ni lourdeur.
Les décors de Jean-Guy Lecat sont fidèles à la vision traditionnelle d'une Chine du XVIIIe siècle et agréables à l’œil, mais les costumes dessinés par Frédéric Pineau constituent l'atout visuel majeur de cette production : très colorés, finement travaillés dans leur extravagance, ils ne rendent en rien ridicules ceux qui les portent. En revanche, la captation sans imagination et ses plans répétitifs ou trop largement cadrés au risque de nous forcer à scruter l'écran pour distinguer l'évolution des chanteurs, handicapent notre approche de l'œuvre. Quant à la prise de son, avec ses bruits de salle et de fosse envahissants, elle se montre assez calamiteuse. On aura rarement aussi bien distingué ceux des pages que l'on tourne… La production méritait mieux !
Reste une initiative éditoriale à saluer et une découverte qui pourra tenter certains.
Nicolas Mesnier-Nature