"Acheter les yeux fermés" : l’expression est connue, mais elle revêt avec ce Königskinder (Les Enfants du Roi) une signification inattendue tant on serait tenté de vous conseiller de ne pas les rouvrir !
La faute non pas à la réalisation toujours impeccable de Felix Breisach, mais bien à la mise en scène de Jens-Daniel Herzog. Certes on connaît la fibre expérimentale du metteur en scène, qui a su remarquablement s’exprimer dans une Flûte enchantée inventive et intelligente lors du Festival de Salzbourg 2012.Mais là où, l’été dernier, il avait su proposer une vision contemporaine sans jamais rogner sur la magie et le merveilleux, à l'Opéra de Zürich toute référence au conte de fées est gommée au profit d’une approche contingente et dénuée de lyrisme, dont le seul trait d’imagination est d’être resituée dans un laboratoire ou une pseudo classe de science.
Les oies de l'histoire deviennent des cocottes en papier, et les couronnes accompagnent les traditionnelles galettes des rois. Une véritable indigence qui ne sert en rien un propos pourtant pertinent sur les apparences trompeuses. Le fossé est encore plus grand avec la musique. Humperdinck a en effet signé une magnifique partition, puissante et lyrique, au post-wagnérisme teinté de musique populaire qui a fait son succès. L’orchestre de l’Opéra de Zürich parfaitement mené par Ingo Metzmacher se laisse d’ailleurs emporter sans manière par ces phrasés magnifiques et ces orchestrations luxuriantes desquels ressort une pointe de fantaisie absolument délicieuse.
Point d’orgue de cette production, la présence de Jonas Kaufmann, ténor zurichois par excellence, qui domine nettement cette distribution. Sa technique incroyable fait ici une nouvelle fois merveille. Il sonne bien comme l’interprète idéal de ce fils de roi fait gueux par son mélange étonnant de force, de caractère, mais aussi de fragilité et de lyrisme qui le caractérisent. C’est d’ailleurs ce qui permet à ce plateau de se tenir car sa seule présence aurait pu déséquilibrer un ensemble certes plus qu’honorable, mais qui n’a pas pour autant le même niveau. Bien au contraire d’une démonstration, Kaufmann s’intègre totalement dans cette histoire et joue clairement avec ses partenaires, à commencer par Isabelle Rey.
Mention spéciale pour le Violoneux d’Oliver Widmer, au timbre acéré, et au jeu d’acteur grinçant à souhait ! La présence du chœur d’enfants de l’Opéra de Zürich apporte une touche de fraîcheur à l’ensemble, même s’ils ne parvient pas à faire abstraction de l’univers du metteur en scène et demeure un rien raide.
Heureusement, la musique est bien là pour faire de cette première en vidéo un événement à ne surtout pas rater, les oreilles grandes ouvertes et les yeux, comme l’aurait dit Kubrick : "grand fermés" !
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Jean-Claude Lanot