Avec pas moins de sept livres, on avait tout lu de Glenn Gould, et surtout tout entendu. Pourtant, nous étions loin d'avoir encore tout vu !
Si l’on connaissait les excellents films de Bruno Monsaingeon consacrés au musicien canadien, il est vrai que les prestations télévisuelles du pianiste manquaient au programme. Si, à partir de 1964, il décide brusquement de faire du studio d’enregistrement de CBC son lieu d’expression privilégié, il ne faut pas pour autant oublier la télévision car c’est bien le public qu’il considérait comme son "ennemi", et plus précisément le public de concert duquel il s'éloigna, non parce qu’il n’avait plus rien à lui dire, mais simplement parce qu’il avait besoin des meilleures conditions pour le faire.
C’est ainsi une nouvelle scène - qui sera également sa tribune - que lui offrira pendant 23 ans la chaîne de télévision canadienne CBC. Ce média sera pour lui le moyen de montrer des facettes inattendues de sa personnalité…
Glenn Gould au petit écran, c’est avant tout un corps. Un corps replié sur lui-même, carrément recroquevillé sur sa petite chaise pliante et sur le clavier, pour mieux se mettre à l’abri du monde extérieur. Un corps oublieux de lui-même, totalement dévolu à la musique. Un corps qui se fait lui-même musique. Mais c’est aussi un formidable analyste, capable de nous expliquer par le menu l’Anatomie de la Fugue, la musique du XXe siècle ou l’œuvre de Richard Strauss au moyen d'une vision à chaque fois toute personnelle.
Bien entendu, on peut ne pas être d’accord avec ses positions - Zubin Mehta le déclare très ouvertement dans son émission -, on peut sourire à ses mises en scène souvent désuètes (le narrateur assis au coin du feu dans un décor de carton-pâte) ou, à l’inverse, avant-gardistes à la Jean-Christophe Averty !
Mais, en visionnant ces années de programmes rassemblées par Sony Classical, c’est bien l’histoire de la télévision qui se déroule devant nos yeux et Glenn Gould l’a parfaitement intégrée, voire incarnée. On voit en effet les concepts d’émissions et les attitudes évoluer au fil du temps et des outils techniques. Si Glenn Gould a refusé le concert, il n’en a pas fui son époque pour autant. Bien au contraire. C’était simplement pour lui une forme d’expression obsolète dont les contraintes physiques et humaines l’obligeaient à faire plier une musique qu’il désirait parfaite.
Il épousera si bien le langage télévisuel qu’il ira jusqu’à se déguiser pour des publicités incroyables dans lesquelles il montrera un réel et irrésistible talent de comédien et de comique, incarnant des personnages improbables tels une sorte de Stockhausen hirsute, un chef d’orchestre anglais à moitié sénile et un acteur oubliant son texte. On le verra également comme récitant dans Copland, en costume du début du XXe siècle, avec la même verve et le même humour.
Qui pense à Glenn Gould pense à Bach, et cela ne saurait être mis en doute. Cependant, le présent coffret nous apporte une vision considérablement enrichie du prodige, tant dans son répertoire (de Sweelinck à… Glenn Gould lui-même, en passant par Beethoven, Richard Strauss ou encore Webern) que dans ses moyens d’expression (piano, direction d’orchestre, présentation, comédie…). Une perspective nouvelle et totalement indispensable que nous saluons sans hésiter par un Tutti Ovation !
À noter : Ce coffret contient 10 DVD présentés chacun dans un boîtier fin, et un livret en couleurs détaillant avec précision les programmes. L'ensemble est proposé en langue anglaise sans sous-titres.
Jérémie Noyer