Idée ô combien pertinente d’avoir fait appel à Francesca Zambello pour mettre en scène ce Porgy and Bess. Son parcours jalonné d’opéras, initié en 1984 avec Fidelio à Houston, et de théâtre musical marqué par Le Petit Prince, La Petite Sirène ou encore Aladdin, en constitue la meilleure preuve.
Parcours à l’image de la destinée de Porgy and Bess, conçu originellement comme un opéra, mais trop long et trop complexe pour l’époque, puis programmé à Broadway sous plusieurs versions, avant d’être définitivement accepté dans le giron opératique en 1976, et… À Houston !
Opératique, cette version de l'œuvre de Gershwin l’est tant par son ampleur et son lyrisme que par le métier évident de Francesca Zambello qui connaît son opéra comme ses chanteurs et parvient à donner vie à tout ce monde en respectant l’art même de ses interprètes et leurs impératifs. Et justement, cette version vaut par son interprétation et, en tête, par la direction du chef John DeMain, lequel s’est fait un champion de cette version de la partition. Sous sa baguette, un souffle lyrique parcourt l’ensemble de l’ouvrage, mais on trouve aussi un sens du détail et de l’orchestration que seule une maîtrise parfaite du matériel classique peut conférer. John DeMain ne dédaigne pas les rythmes jazz, mais il flotte un parfum de Puccini sur cette version, tant par la conduite des airs que le sens de l’histoire qui les parcourt et les anime.
De la même manière, Eric Owens ne brille pas nécessairement dans le rôle-titre par son swing, mais bel et bien par ce mélange de force et de délicatesse qui convient si bien au rôle, hérité sans doute de son passé verdien. Quant à Laquita Mitchell, elle s’est notamment fait connaître en incarnant Mimi à Cincinnati, et ce rôle laisse immanquablement des traces dans son approche de Bess. Beaucoup de pureté dans cette voix d’une belle présence, même si parfois un peu altière et distanciée pour le personnage de Gershswin.
En droite ligne de l’opéra, il y a aussi ce chœur puissant et massif, hellénistique en ce qu’il observe et commente l’histoire au sein d’une scénographie ample et lyrique, digne des plus grandes maisons. Mais ce même chœur peut aussi participer à l’action, et nous faire passer par là même dans le champ du théâtre musical comme Francesca Zambello aime à le faire. Le San Francisco Opera Chorus n’est pas ici seulement un chœur grec : les choristes sont les habitant de Catfish Row, et chaque choriste devient un personnage à part entière particulièrement attachant.
À l’instar du couple formé par Clara et Jake (Angel Blue et Eric Greene) qui en viendrait presque à voler la vedette à celui de Besse et Porgy tant leur exceptionnelle performance vocale va de pair avec une incarnation parfaite de leur personnage, lumineuse, habitée, simple et poétique.
En cela le "Summertime" de cette version fait à tous égards figure de référence. Une pure merveille ! Véritable épreuve du feu, cet air engendre ou non le succès de la représentation. Et là, nous ne cacherons pas notre ravissement. Voix sublime, swing parfaitement équilibré avec l’orchestre, présente captivante. On y est, et on y est bien !
De la comédie musicale, on trouve aussi ici une approche théâtrale très "blanche", avec des costumes trop beaux pour être honnêtes, des échafaudages métalliques qu’on croirait tout droit sortis de la version Broadway de Newsies (pourtant postérieur) et de multiples surprises basées sur des jeux de lumières parfaitement millimétrés.
Avec cette production, nous ne nous trouvons pas face à une peinture réaliste, mais bien dans un jeu, une pièce, où l'excellent Sportin’ de Chauncey Packer surjoue à l’envi, où personne n’est dupe, mais où tout le monde se fait plaisir. Et quelle performance que celle de Lester Lynch dans le rôle de Crown : un véritable mauvais génie qui sort de sa boîte, et bien souvent irrésistible.
Ce Porgy and Bess, en vérité, est une magnifique synthèse de tout le parcours de l'œuvre, de son histoire et de sa multiplicité jusque dans ses propres limites, magnifiée par une équipe totalement dédiée, tant sur scène que dans la fosse et dans les coulisses, comme en témoignent les interviews proposées en annexe. Une version qui fera date !
Lire le test du DVD Porgy and Bess à l'Opéra de San Francisco
Jean-Claude Lanot