Si le Philharmonique de Vienne a son concert du Nouvel An, le Philharmonique de Berlin programme le sien le 1er mai, date anniversaire de sa fondation en 1882. Institution d’abord nationale, le Philharmoniker s’est, notamment depuis Abbado, considérablement ouvert sur l’Europe, comme l’atteste la présence du flûtiste Français Emmanuel Pahud dans ses rangs, et sur le monde, comme en témoigne le présent concert dirigé par le pétillant tenant du Sistema vénézuélien, Gustavo Dudamel, bien connu pour son imagination et son énergie.
On se demande d’autant plus si c’est bien lui à la baguette dans ce programme curieusement affublé de l’étiquette "Classicisme viennois en plusieurs variations" dans le livret, en particulier quand le concert s’achève sur la révolutionnaire Symphonie No. 5 de Beethoven. Peut-être alors est-ce l’esprit dans lequel le chef a dirigé ? Force est en effet de constater qu’on ne le reconnaît pas : des phrasés sans relief, la moindre aspérité de la partition - notamment l’accentuation hors-norme de Beethoven - gommée, des tempi convenus et ampoulés, ainsi qu'un hédonisme quasi nombriliste. Nul doute que le chef prend plaisir à savourer les timbres élégants et profonds de l’orchestre, quitte à s’y perdre et à laisser ces extraordinaires musiciens se diriger tout seuls. Ce n’est d’ailleurs pas le premier concert décevant de Dudamel puisque sa brusque "sagesse" avait déjà surpris la critique quelques jours auparavant Salle Pleyel dans la même symphonie.
Pour rester malgré tout en France, le violoncelliste-star Gautier Capuçon, à qui échoit le Concerto No. 1 de Haydn, s’en tire avec les honneurs : ampleur du phrasé, belle respiration (notamment dans le 2e mouvement) associée à une redoutable précision technique et à une virtuosité étourdissante dans le troisième mouvement. Mais tout cela tient plus de l’autosatisfaction et d’une science consommée de l’image que du partage et de la générosité. Le tempo effréné du 3e mouvement sent la précipitation ou bien la démonstration. Soit une interprétation fort impressionnante mais vite oubliée.Que dire, enfin, de ces variations brahmsiennes pour orchestre ouvrant ce concert qui suscitent le même ennui d’un bout à l'autre. Une propreté impeccable, exemplaire même, mais rien qui n’active le battant. Le niveau des musiciens n’est en effet pas du tout en cause ici. Il reste même exceptionnel et l’on serait peut-être moins critique si ce n’était "Le" Philharmoniker. Mais comment se montrer convaincu devant l’absence de projet, de perspective, de crédibilité musicologique (pour le "classicisme" !) et, surtout, d’enthousiasme, d’appétence et, tout simplement, de plaisir. Comme une équipe nationale de football qui perd la flamme et nous laisse l’arrière-goût amer du talent gâché.
Jean-Claude Lanot