Le programme débute par une exécution publique de la Symphonie No. 9 de Dvořák, dite "du Nouveau Monde". Pour profiter au mieux de ce concert de 1991, il convient sans doute d’oublier toute interprétation entendue auparavant et plus particulièrement ce qui touche au tempo. Sergiu Celibidache ne cherche pas à diriger les œuvres plus lentement que ses confrères, mais il tient à rendre perceptibles tous les détails de l’écriture des compositeurs, dans ce qu’il appelle "le tempo juste". Aussi, la célèbre symphonie de Dvořák nous paraît d’entrée plus lente mais, à écouter attentivement, une foule de petits détails sans doute jamais remarqués auparavant apparaissent alors.
Dans le premier mouvement, l’image d’un chef grave s'impose, extrêmement concentré, dirigeant tout de mémoire selon son habitude, "jouant" de l’orchestre sans faille et attentif à toutes les interventions des différents pupitres. On sent Celibidache totalement habité par la musique, et on peut voir à quel point il communique la profondeur de ses pensées aux musiciens de sa merveilleuse phalange, le Münchner Philharmoniker. Ce DVD nous permet en outre de mesurer la façon dont les musiciens s’investissent dans l’œuvre, guidés par leur chef.
Dans le second mouvement connu pour sa nostalgie, il convient d'écouter sonner les cuivres de l’introduction, puis le chant presque déchirant du cor anglais. Mais, surtout, soyez bien attentifs à la toute fin de ce mouvement, aux deux derniers accords joués par les contrebasses, dans une incroyable nuance "piano" qui vous engage à un silence ému… On pourra également apprécier la battue très lente de Celibidache, un exercice de précision incroyable qu’il est le seul à réussir si parfaitement pour donner la véritable pulsion pensée par l’auteur. En effet, pratiquement tous les autres chefs - les plus grands y compris - décomposent le mouvement. Ici, les musiciens se montrent particulièrement attentifs au geste, on le voit nettement, afin d'assurer la plus grande précision d’ensemble.
Dans le troisième mouvement, toujours plus retenu que bien souvent, le chef se déride un peu et son visage forme des mimiques qui varient en fonction des emprunts de musique populaire introduits par Dvořák. N’oublions pas que Celibidache, né en Roumanie, est lui aussi un homme de l’Est…
Enfin le thème du quatrième mouvement, particulièrement célèbre et majestueux, rejoint à peu près les tempi habituellement adoptés… Mais pas pour longtemps, car le maître prend son temps dans les développements, ce qui nous vaut d’appréhender de très beaux détails de l’écriture qui, sûrement, nous avaient échappé jusque-là. Les Anglais diraient : "Enjoy !".
La seconde partie du programme - pensez à sélectionner le français dans le menu - est consacrée à la répétition sans public de la Symphonie Classique de Prokofiev, enregistrée en 1988, soit 3 ans avant le précédent concert. Sergiu Celibidache apparaît en très grande forme, tantôt plaisantant, tantôt poussant un court "coup de gueule". Visiblement il sait qu’il est filmé et en rajoute peut-être un peu parfois. Mais il est là tout à son affaire et, fait rarissime pour une répétition, dirige encore par cœur ! Cette œuvre de Prokofiev compte parmi les difficultés de la direction d’orchestre et on la retrouve souvent inscrite aux concours de cette discipline. Naturellement Celibidache se joue aisément des difficultés, au point que tout paraît facile… Il faudra suivre toutes ses indications, et écouter l’orchestre "avant" et "après" ses indications pour apprécier le travail du chef. À ce titre, ce document est tout à fait exceptionnel.
Bonne initiative éditoriale, à l’issue de cette séance de travail dans le détail, le filage de la Symphonie Classique est proposé sans interruption parlée. Le chef roumain y fait un peu le pitre, laissant parfois l’orchestre jouer seul, usant aussi quelquefois de gestes amusants tout en restant toujours très souriant face à la caméra. Ne manquez pas les deux baisers adressés aux musiciens pour marquer les deux derniers accords du troisième mouvement, car ils s'adressent peut-être à nous aussi !
Daniel Barda