Si, pour Musset, "qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse", l’adage ne s’applique pas aussi facilement au DVD en général et à cet opéra-comique de jeunesse écrit par le compositeur de L’Elixir d’amour en particulier.
L’ivresse est bien là dans cette production vive et intelligence mise en scène par Mireille Larroche, comme souvent avec la Péniche Opéra. Déjà, cette Rita est une première au DVD, et il convient de saluer cet effort, qui plus est dans sa version originale, française, restituée en 2009 par les éditions Ricordi.L’ivresse vient également de l’échelle pleinement assumée de cette performance. Pour ce huis clos comico-tragique autour d'un ménage à trois gravitant autour d'une maîtresse-femme qui mène son mari et son ex à la baguette, le minimalisme scénographique de cette production se montre tout à fait cohérent. Mais minimalisme ne rime pas avec ennui, loin s’en faut. Dans cet espace restreint, les trois chanteurs déboulent et s’affrontent à un rythme trépidant, dans un environnement au kitch paradoxalement et délibérément très actuel. La projection en arrière-plan de la terrasse de l’auberge donne également une profondeur de champ bluffante qui évite le confinement et offre une ouverture bienvenue sur l’extérieur.
L’ensemble Musica Nigella, fine phalange de la Côte d’Opale, de par son effectif resserré, sa précision impeccable et l’enthousiasme de son chef, le corniste Takénori Nemoto, offre une interprétation ad hoc, le soutien idéal aux chanteurs et une affinité évidente, disons même naturelle avec le répertoire. Quant aux chanteurs, parlons-en. Une telle exposition, une telle proximité dans ce cadre restreint, tient nettement de la prise de risque. Assumée et transformée, elle devient ici performance tant ce trio improbable ne peut que récolter nos plus vifs éloges : Amira Sélim, piquante à souhait et aux arabesques vocales aussi réjouissantes que prometteuses, Christophe Crapez, qui démontre qu’il en faut des qualités, notamment une diction et un timbre au cordeau, pour jouer un incompétent, et Paul-Alexandre Dubois, fier baryton qui a su trouver le juste dosage d’exagération, jamais outrancière, pour rendre son macho de Gasparo délicieusement ridicule.
Ces chanteurs sont aussi des comédiens hors pair - comme en témoignait à l’époque de la captation le "demi-opéra" Elle est pas belle la vie ? de Vincent Bouchot qui suivait ce programme au Théâtre de Fontainebleau - qui occupent la scène comme dix et donnent une verve et une authenticité merveilleuse au livret.
Seule ombre au tableau – mais elle est de taille -, le flacon. La captation de ce petit bijou va carrément à l’encontre de la précision d’orfèvre que les artistes ont investi dans ce spectacle. C’est d’ailleurs tout à leur honneur que d’offrir une performance suffisamment remarquable pour parvenir à dépasser l’indigence technique de ce DVD, mais on imagine avec dépit le bonheur que cela aurait pu être de profiter de ces voix et de cet orchestre sans ce flou peu artistique qui entoure la seule piste Dolby Digital et l’image, à peine supérieure au rendu d’un caméscope. Une réelle et puissante déception. Ces musiciens méritaient bien mieux…
Jean-Claude Lanot