On a encore à l’esprit le désarroi qui fut le nôtre devant la mise en scène fourre-tout de Mariame Clément pour le Giasone de Cavalli, laquelle posait de manière crue le problème de la mise en scène de l’opéra baroque.
On pouvait craindre l'approche hollandaise de David Alden pour Deidamia trop décomplexée, mais il n’en est rien. Elle est même tout simplement follement imaginative. Au gré d’un sens éclatant de la lumière et des couleurs, les références se rencontrent, s’ajoutent et se confrontent avec – et c’est là ce qui achève de convaincre – esprit, humour et intelligence.
Forcément, l’Antiquité est au rendez-vous avec cette colonne ionique géante et ce grand panneau noir rehaussé de mosaïques brunes et ocre devant lequel se détachent aisément les personnages, dans des tenues issues d’époques très différentes, allant de l’Antiquité à une parodie d’armée yankee…
Mélange des lieux et des époques, mais toujours en lien avec l’histoire, l’arrivée d’Ulysse a quelque chose d’une ingérence bien actuelle, avec son sous-marin et ses commandos. Et entre cette invasion bouffonne et cette cour aux allures de villa californienne de la grande époque, le couple Achille-Deidamia passe du grotesque (le tutu rose du héros ramenant un cerf pour le dîner, avec cette mise en abîme d’un héros qui se déguise en femme, que l’on force à s’affirmer en tant qu’homme et qui est chanté par une femme), au plus sensible, avec ce couple partagé entre l’amour et l’instinct.
À ce titre, l’interprétation des chanteurs permet de faire passer à merveille l’incongruité assumée de la mise en scène, dans une véritable complémentarité entre l’œil et l’oreille.
Le couple Achille-Deidamia fonctionne ainsi à merveille, grâce à une compréhension profonde des personnages et à la lecture qu’en fait le metteur en scène. Les timbres sont en outre idéalement complémentaires. Du côté de Sally Matthews, c’est la sensualité et l’élégance, avec une projection mesurée, subtile et finalement désarmante, sans aucun effet de manche. Et du côté d’Olga Pasichnyk, c’est la schizophrénie propre au rôle d’Achille tiraillé entre sa "couverture" et l’appel de la gloire et des hauts faits, avec une voix mobile, robuste et gouailleuse.
Mais ce tiraillement ne saurait être efficace si l’Ulysse de Silvia Tro Santafé n’était aussi redoutable, au meilleur sens du terme. Terriblement efficace sur le plan théâtral, il/elle s’avère une merveilleuse Handelienne à la virtuosité consommée. La voix virevolte avec puissance, dans une projection énergique mais jamais brutale. Quant au reste de la distribution, il est à cette image, servant au mieux et Handel et cet univers uchronique assumé.
La fosse, quant à elle, n’est pas en reste. Passionné par la musique de Handel, Ivor Bolton a su articuler et donner vie à cet opéra mal connu avec une véritable ferveur mêlée de méticulosité. Cela s’entend et les musiciens du magique Concerto Köln l’ont bien ressenti. Grâce à eux, Handel prend une dynamique et un relief pétillants et délicieusement contrastés, volubiles et plastiques. Bref, un tour véritablement baroque, à l’image de l’ensemble de ce spectacle. Les timbres se mélangent et dialoguent avec bonheur, avec des solos à tomber. Handel mélodiste se double d’un Handel orchestrateur magnifiquement restitué par cette captation.
Cette production de Deidamia est baroque à plus d’un titre, et revendiquée comme telle, elle sied parfaitement à cet ultime opéra de Handel. La plus grande fantaisie ne peut se déployer que grâce à la plus extrême rigueur. Ces interprètes le savent et nous le font comprendre avec pédagogie et gourmandise !
Lire le test du DVD Deidamia de Handel par De Nederlandse Opera
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Jean-Claude Lanot