Peter Grimes est le second opéra de Benjamin Britten, composé sur la fin de la guerre en 1944-1945. Le livret reste fidèle à l'inspiration de son auteur avec des personnages solitaires, honnis par une société qui les pousse au drame. L'aspect universel de ce thème ainsi que la modernité de la musique permettent facilement une transposition de l'action initiale située dans les années 1830 aux années 1970-1980. De fait, l'étude de mœurs contenue dans le livret, les comportements sociaux vis-à-vis de la différence ainsi que l'ambiance sinistre de quartiers populaires imposent une réalité contemporaine presque naturellement.
La scène de la Scala voit ainsi déambuler comme au ralenti les habitants du quartier, ou affiche la violence collective d'une population bigarrée. Les seules joies exprimées sont indissociables d'une certaine ambiguïté car issues de comportements en permanence provocants, comme ceux des deux nièces ou du prêtre saoul. Le seul personnage bienveillant est l'institutrice, qui sera malheureusement elle aussi soumise par la pression sociale.
Les chœurs participent à cette chorégraphie du malheur comme des témoins aisément manipulables qui s'agitent aussi bien dans les extérieurs glauques que dans les intérieurs sordides. Le moment où ils scandent avec une violence étourdissante le nom de Peter Grimes restera dans les mémoires.
Le metteur en scène Richard Jones a su toutefois tempérer les excès en équilibrant les aspects franchement suggestifs portés par certains personnages avec des trouvailles scéniques intéressantes telle la taverne mouvante pendant la tempête. Témoins de ces turpitudes, d'énormes mouettes hitchcockiennes, perchées immobiles, contemplent placidement le drame en train de se jouer.
Sur le plan vocal, Peter Grimes n'offre qu'un seul air profondément lyrique, dévolu à l'institutrice (Acte III, scène 1). Susan Gritton, déchirante, y fait merveille. Le style parlé-chanté imposé au reste de la distribution, soumis à la diction anglaise, ne permet pas aux interprètes de briller comme dans un opéra traditionnel. Ceci étant, le rôle-titre bénéficie d'une richesse d'écriture certaine en ce qui concerne l'évolution de ce personnage torturé qui finira fou et suicidaire. Pourtant, le Peter Grimes du ténor anglais John Graham-Hall, à la voix sûrement trop limitée pour le rôle, manque de caractère, et ce dès le début de l'opéra. Le timbre pâle désincarne le personnage et le vibrato constant finit par fatiguer. Jouant le personnage dans l'excès et de façon très théâtrale, John Graham-Hall grossit constamment le trait pour exprimer la fragilité de Grimes et peine à convaincre.
Avec leurs déhanchements suggestifs et leur comportement provocateur, les deux nièces incarnées par Ida Falk Winland et Simona Mihai sont elles aussi en permanence très caricaturales. Davantage de nuances auraient enrichi considérablement ces prestations. En patronne de l'auberge, Felicity Palmer convainc davantage par sa composition, même si le chant est un peu fatigué. Le reste de la distribution assure globalement de bonnes prestations, sans qu'on puisse toutefois s'attarder sur un élément dominant.
Peter Grimes se caractérise par ses six fameux interludes orchestraux. Le chef Robin Ticciati s'implique réellement dans leur conduite, aussi délicate que massive, jouant en cela à fond la carte descriptive.
Enfin, les caméras de Patrizia Carmine multiplient les points de vue, dont certains en plongée, ce qui permet une approche multiple de ce monde en perdition.
On ressort moyennement convaincu par cette représentation, si ce n'est pas la formidable Susan Gritton dans le rôle d'Ellen Orford. Si toute la distribution avait été de ce niveau, cette production de Peter Grimes aurait été, à n'en pas douter, bien mieux accueillie…
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Nicolas Mesnier-Nature