Il aura fallu attendre très longtemps la reprise des Oiseaux de Walter Braunfels, et ce malgré les innombrables représentations qui furent données durant l'entre-deux-guerres, juste après sa création en 1920. Le compositeur fut en effet victime de la pseudo-politique culturelle nazie (lire notre Focus sur l'Entartete Musik), puis d'une autre dictature : celle de la modernité d'après-guerre qui n'accordait plus aucun droit de cité à ce style néoclassique et romantique.
Tout un pan de répertoire d'une génération de compositeurs politiquement, musicalement et culturellement honnis – Korngold, Krenek, Schreker, Goldschmidt, Ullmann, Schulhoff, Krasa, Haas et bien d'autres – reste ainsi à redécouvrir. À l'écoute de leurs œuvres, parfois très différentes les unes des autres, on ne peut que se montrer émerveillé par tant de richesse et d'inventivité, et parallèlement s'élever face à un ostracisme musical aujourd'hui à peine comblé.
Le livret
Il nous paraît utile, dans un premier temps, de résumer l'intrigue des Oiseaux.
Prologue - Un Rossignol (Désirée Rancatore, soprano colorature) présente le domaine habité par les oiseaux, sorte de paradis céleste presque parfait.
Acte I - Deux hommes, Fidelami (James Johnson, baryton) et Bonespoir (Brandon Jovanovich, ténor), ont quitté la terre pour le royaume des cieux, déçus par les hommes et les femmes. Ils rencontrent le roi Huppe (Martin Gantner, baryton), lequel se plaint de l'absence d'un domaine bien délimité. Fidelami propose alors l'édification d'une forteresse intermédiaire destinée à empêcher le contact entre les dieux et les hommes. D'abord réticents, les oiseaux comprennent qu'ils pourront ainsi reconquérir leur ancien pouvoir sur le ciel et la terre. Fidelami est décoré et honoré ; les volatiles commencent la construction.
Acte II - Dans une ambiance nocturne propice aux déclarations, Bonespoir et le Rossignol trouvent le bonheur. L'aube venue, le Rossignol retourne dans la forêt. La ville est enfin achevée et des noces entre deux colombes sont célébrées. Puis Prométhée (Brian Mulligan, baryton) incite les oiseaux à ne pas se soulever contre les dieux. Mais en vain car ils s'arment et une violente tempête détruit la ville. Un peu tard, les oiseaux reconnaissent leurs torts et rendent hommage aux dieux. Les deux hommes ayant perdu leurs illusions rentrent chez eux. Mais alors que Fidelami semble résigné, Bonespoir se sent métamorphosé…
Le traitement musical de Braunfels
Le langage musical de Braunfels appartient à la culture romantique allemande, et le modernisme de certains de ses contemporains n'entre nullement dans son univers. Au cours de l'Acte II, son orchestration revêt parfois les couleurs de Wagner et la scène de passion nocturne du même Acte rappelle par moments celle de Tristan et Isolde, tandis que la scène dansée évoque la clarté toute classique des premiers romantiques, à l'image de Mendelssohn. Les chœurs des oiseaux sont construits sur un traitement à la fois homophonique et polyphonique très rigoureux dont la beauté s'exprime en particulier dans le caractère hymnique du grand chœur final "Gross ist Zeus !".
L'écriture de la voix de Rossignol n'est pas sans rappeler celle de la Reine de la Nuit dans La Flûte enchantée, et l'arrivée des deux compères, une situation analogue à Papageno dans le même opéra. Plus tard, l'impressionnante scène de Prométhée rappellera les grandes tirades straussiennes de Salomé ou Elektra.
La mise en scène
Les genres seria et buffa font bon ménage dans Les Oiseaux. Si le comique touche davantage l'Acte I, il s'agit plus de satire que de burlesque, et les personnages ne tombent jamais dans les gros effets. Du reste, les costumes ne sont en rien grotesques, mais au contraire très travaillés et inventifs. Ils chatoient de leurs couleurs vives et brillantes et s'intègrent avec harmonie aux décors intentionnellement naïfs de David Gordon. L'univers du conte allégorique baigne ainsi toute la production, et le jeu des lumières, changeantes au cours des scènes, renforce encore ce monde coloré, onirique et ludique dans lequel l'origine grecque du sujet se retrouve dans des éléments d'architecture symbolique.
La chorégraphie a de même beaucoup d'importance dans Les Oiseaux. Une grande partie de l'Acte II illustre par ce biais ainsi le bonheur retrouvé dans la nouvelle cité construite par les volatiles avec une légèreté et beaucoup d'humour. Le néoclassicisme de Braunfels atteint ici son sommet.
La distribution
Des solistes réunis les 23 et 26 avril sur la scène de l'Opéra de Los Angeles, on retiendra en premier lieu le Rossignol de Désirée Rancatore, exceptionnelle dans le registre colorature, à la voix translucide et aux aigus brillants et cristallins. Brandon Jovanovich est un bon ténor dramatique, plus en force qu'en nuances, qui se montre parfaitement complémentaire face au baryton James Johnson. Mais, comme il arrive parfois dans les opéras, le rôle le plus important n'est pas celui que l'on retient en premier. Ici, c'est au Prométhée de Brian Mulligan que reviennent tous les éloges. Absolument extraordinaire de présence scénique et vocale, le public n'attendra pas la fin pour applaudir sans réserve sa sortie par-dessus le flot musical ininterrompu de l'orchestre !
Tous ces chanteurs semblent parfaitement à l'aise malgré les difficultés que peut représenter le déguisement en oiseau. Leurs déplacements savamment réglés restent agiles et légers.
James Conlon, à la tête du Los Angeles Opera Orchestra, défend avec ardeur un répertoire mal connu avec la même conviction et dans le même état d'esprit que pour Le Nain et La Cruche cassée, également disponibles en Blu-ray et en DVD chez le même éditeur.Artistiquement, on trouvera donc peu de choses à critiquer dans le fond. En revanche, pourquoi avoir négligé à ce point la qualité du master vidéo ? Le support visuel est pourtant un complément indispensable à cette fantaisie-lyrique à la musique prodigieuse. Ceci est d'autant plus frustrant qu'une nouvelle production a peu de chance de voir le jour avant longtemps. Mais, à cette réserve près, on ne peut qu'être ravis d'une telle parution.
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Nicolas Mesnier-Nature