Ce fim-opéra de Boris Godounov réalisé en 1989 laissera sans doute davantage de doutes que de solutions au spectateur quelque peu médusé par le traitement infligé au chef-d’œuvre de Moussorgsky. Sa durée, en premier lieu, se voit littéralement décapitée puisque le film ne retient que 50 % environ de la partition initiale de l'opéra. Rien ne justifiera jamais musicalement une telle amputation. Le choix de monter Boris comme d'autres gigantesques partitions doit être pleinement assumé financièrement et artistiquement par une production. Passer l'opéra de Moussorgsky à la moulinette pour n'en retenir théoriquement que le suc est un pari osé et très risqué si l'on n'a pas prévu une bonne jambe de bois pour remédier au manque.
Pour son Boris Godounov, le réalisateur Andrzej Zulawski a eu pour lui des interprètes - chanteurs et acteurs – à la hauteur du défi et de superbes décors. Sa mise en scène, assez probante, assume ses anachronismes. À une époque où l'on en a vu d'autres en la matière, la présence d'un canard en plastique, de gardes soviétiques ou la confusion des lieux reste de bon aloi dans le traitement de Boris. Les scènes de nu ne choquent plus personne, les habits sont splendides, les couleurs des intérieurs et des extérieurs ressortent parfaitement à l'écran et certaines scènes, notamment celles de foule, ressemblent à de véritables tableaux.
Nulle critique envers les voix : Ruggero Raimondi, Nicolai Gedda et Galina Vichnievskaia suscitent à eux seuls une bonne partie de notre plaisir. Mais voilà, si Ruggero Raimondi chante et joue un Boris brillamment outrancier, les autres chanteurs ne font que prêter leur voix à des acteurs. Lorsqu'on apprend que Galina Vichnievskaia s'attendait à jouer la jeune Marina nue dans son bain et ailleurs, on ne peut qu’être surpris de cette option. Or si le doublage s'avère bluffant, la réalité physique de ce que l'on voit par rapport à ce qu'on entend laisse dubitatif. De fait, la crédibilité de la narration est gênée par de tels contrastes même s'ils ne poussent pas aussi loin que dans les films indiens de Bollywood où une chanteuse de 80 ans peut tout à fait être amenée à doubler une jeunesse tout juste sortie de l'adolescence.
Il faudra passer également sur l'accompagnement orchestral neutre de Mstislav Rostropovitch, enregistré en studio 2 ans avant le premier tour de manivelle. On nous apprend par ailleurs que le chef s'est opposé moralement à l'adjonction de bruitages sur sa bande-son…
On restera donc prudent sur le bien-fondé de cette production dont ressort globalement la fin d'une époque. Comparé aux films-opéras Don Giovanni, Tosca, Carmen ou encore les films de Jean-Pierre Ponnelle qui les ont précédés, Boris Godounov a trop été taillé dans le vif et sent trop le film pour garder sa teneur d'œuvre opératique. Cet opéra est en outre le moins chantant possible et ne se prête pas aussi facilement à un traitement cinématographique comme le serait un opéra classique. Au final, personne n'y trouve son compte…
À noter : ce programme propose des sous-titres français pour sourds et malentendants.
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Nicolas Mesnier-Nature