Les Pêcheurs de perles n'est pas l'opéra de Bizet le plus représenté au catalogue, aussi une nouvelle version est toujours accueillie à bras ouverts, surtout lorsque la mise en scène respecte le cadre d'un Orient imaginaire qui servira à l’évolution du triangle amoureux. Pourtant, on regrettera que la version présentée ici soit celle publiée par Choudens, et non celle reconstruite grâce à de récents travaux musicologiques qui ont permis de revenir aux sources de Bizet. En effet, suite à l'éclatant succès posthume de Carmen, l'éditeur du compositeur décida de réviser la partition des Pêcheurs de perles avant de relancer l'œuvre qui n'avait pas remporté un grand succès du vivant de son auteur. Pour ce faire, il réintégra plusieurs éléments composés par Bizet mais commanda également au compositeur Benjamin Godard un nouveau trio afin d'étoffer le dernier Acte. De même, Choudens proposa plusieurs fins alternatives laissées au choix des théâtres. Bizet n'était certes pas entièrement satisfait de la conclusion dramatique de son opéra mais, mais de là à préférer aujourd'hui une version si peu authentique…
La première impression qui suit le visionnage de ces Pêcheurs de perles enregistrés au Teatro San Carlo de Naples en 2012 laisse à penser que le traitement des personnages par le metteur en scène Fabio Sparvoli n’est pas des plus fouillés. Pour preuve, solos, duos et trios ne sont pas nécessairement très animés sur le plan visuel, et on s’ennuie même parfois tant la théâtralité se voit entièrement déléguée à la musique. Pourtant, étrangement, l’on ne souffre finalement pas tant de cette mise en scène davantage tournée vers la chorégraphie que vers la direction d’acteurs car elle éblouit par sa vivacité scénographique qui sonne comme un retour aux sources Sri Lankaises de l’opéra de Bizet. Des danseurs vêtus de bleu profond et de rouge saturé se croisent ici au gré d’une gestique directement inspirée du Kathakali de l’Inde du Sud, même si la filiation demeure très allégée. Au final, ce spectacle s’imprime en nous comme une vibrante invitation au voyage et à la rencontre fusionnelle entre l’Orient et l’Occident telle que Bizet l’a rêvée.
L’Orchestre du Teatro Regio de Naples n’est pas forcément le plus attendu sur le répertoire français tant les maisons ultramontaines sont réputées pour être plutôt casanières. Force est de constater que les Anglais bénéficient d'une meilleure réputation quant à notre répertoire national. Ceci étant, le chef Gabriele Ferro fait montre d’un véritable amour pour la partition de Bizet, avec une attention méticuleuse aux détails de l'orchestration. Cela lui permet d’endiguer toute velléité de débordement lyrique et de privilégier une délicatesse et une poésie certes souvent animées, mais toujours efficaces et éminemment respectueuses du texte et de son esprit.
Sur le papier, a priori la distribution de cette production ne semble pas idoine pour ce répertoire. Certes, le ténor Dmitry Korchak a toujours témoigné de son désir d’aborder le chant français, mais sa carrière l’a plutôt conduit vers le répertoire italien. Idem pour le baryton uruguayen Dario Solari. Reste la soprano Patrizia Ciofi, qui avait déjà chanté Les Pêcheurs de Perles en 2011 à Berlin, et qui réalise régulièrement des incartades dans le répertoire français. De fait, les deux hommes ne sont clairement pas à l’aise dans cet univers musical. On les sent empotés, maladroit. Ils paraissent avoir tant de mal à doser leur engagement qu’ils en deviennent davantage des valets de Patrizia Ciofi que des partenaires. Non pas que leur chant - ne parlons pas de la diction ! - soit imparfait. Il s’agit plus ici de présence et d’affinité avec l’univers narratif et musical imaginé par Bizet, et nous sommes loin du compte.
C’est précisément tout le talent de la soprano italienne de compenser par sa seule présence, physique et vocale, toutes les difficultés de ses partenaires, y compris le chœur, très approximatif. Patrizia Ciofi éblouit par son engagement et, avec elle, le personnage de Léïla est véritablement incarné grâce à une technique sûre, sans doute plus convaincante qu’envoûtante. Mais c’est certainement ce qui était nécessaire pour assurer le tour de force de lier ce plateau souvent bancal et pour se positionner clairement comme le centre d’attraction de toute l'histoire. Sa Léïla est une femme forte et captivante à défaut d’être vraiment séduisante.
Cette production des Pêcheurs de perles en dents de scie aura pourtant le mérite de mieux faire connaître un opéra de Bizet qui peine à dépasser le cercle des connaisseurs. Il est même permis de voir là un pas sympathique vers un autre public, en rien démagogique et même très authentique. La prise de risques est à saluer, comme l'indéniable essai créatif. Et puis, il y a si peu de versions de cet opéra au catalogue vidéo…
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Jean-Claude Lanot