La Somnambule (La Sonnambula) est l’œuvre qui apporta une résonance européenne au nom de Bellini. Composé seulement quatre ans avant la mort précoce du compositeur, il s'agit d'un opéra semi-seria, ou mélodrame, comme on les aimait particulièrement à l'époque de la création en 1831. L'intrigue ne mérite aucun commentaire particulier, tant elle sacrifie aux poncifs théâtraux alors en vogue, à peine pimentés par un fantastique ténu et une irrationalité convenue, le somnambulisme. Cette pathologie dont est atteinte l’héroïne Amina, en plus de causer les imbroglios de surface, sera la source d'un des plus beaux airs écrits par Bellini, le très fameux "Ah! Non credea mirarti", pourtant entendu seulement à la toute fin de l'opéra. La difficulté parfois presque insurmontable de cet art si personnel du bel canto et la banalité du livret auront bien souvent raison de l'intérêt porté par les chanteurs à cet opéra. Quant à l'orchestration, souvent qualifiée de "légère" et dont Bellini ne se souciait sans doute pas énormément, elle ne nécessite en outre nullement un chef surdoué. C'est donc avec une curiosité mêlée de crainte que nous visionnons cette production actualisée de l'Opéra de Suttgart à la distribution internationale.
Les metteurs en scène Jossi Wieler et Sergio Morabito se sont partagé la tâche pour nous plonger dans le quotidien d'une auberge Suisse des années 1950. Un gros travail de reconstitution mérite notre attention : intérieur défraîchi d'une grande salle de réfectoire, mobilier et vêtements en harmonie, tout y est. L'intérêt de cette approche est de témoigner que l'intrigue, pour autant un peu tirée par les cheveux, garde une partie de son actualité. L'aspect répressif qui émane du chœur, de par ses attitudes et ses mimiques, est un petit régal en soi. Chaque choriste mériterait un arrêt sur image en raison du type social qu'il incarne, du pire idiot au coincé de service. Un tableau, sans concession et très critique d'une société, qui se révèle parfaitement efficace.
On peut préciser toutefois que l'ensemble de la représentation se limite à un intérieur, hormis une faible variation pour la chambre du comte, alors que la géographie originale du livret original multiplie les extérieurs. Une façon de focaliser notre attention sur les obsessions domestiques et personnelles des protagonistes, tout en prenant le risque de lasser par un décor unique et des lumières peu changeantes.
Le chant bellinien est éprouvant pour ses interprètes. Aussi, on se rendra très rapidement compte des possibilités et surtout des limites des uns et des autres. Ainsi, Lisa l'aubergiste est tenue par la soprano écossaise Catriona Smith, plutôt à l'aise dans ce rôle assez sécurisant. La voix est en place et le restera, dans un allant assez naturel et bien en phase avec un personnage à plusieurs facettes. Dès le premier air d'Amina, la somnambule dont il est question dans le titre et qui l'ignore, Ana Durlovski convainc facilement par son aisance à dérouler les doubles croches belliniennes sans difficultés. L'interprète gagnera en ouverture en avançant dans l'œuvre jusqu'à aboutir à l'immense aria finale. Dans cette bouleversante musique, le contraste obtenu entre la plénitude intense du chant et le léger accompagnement d'un "orchestre-guitare" est une merveille totale. Ana Durlovski saisit par le soutien de son chant, parfaitement en place et excellemment joué, au point de donner la larme à l’œil.
Son partenaire masculin, le ténor Luciano Botelho, n'est malheureusement pas à la hauteur. Limité dans son expression, l'émission des notes laisse souvent à désirer quant à la justesse, et pas seulement dans les aigus. Très peu de couleurs, des traits tendus, des vocalises sur le fil, on craint à tout moment une chute qui n'arrive pas mais corrode l'ensemble de la prestation. Face à sa partenaire aux cheveux roux flamboyants, cet Elvino-là fait vraiment pâle figure.
Le comte est en revanche bien chanté. Enzo Capuano lui apporte une certaine noblesse de jeu et une tenue de notes sans aucun vibrato, bien définies et colorées. À l'opposé, l'amoureux éconduit de Motti Kaston est beaucoup trop appuyé par des effets de jeu caricaturaux lesquels desservent considérablement sa prestation générale pourtant honnête. Quant à Gabriele Ferro, il dirige l'orchestre de l'Opéra de Stuttgart sans grossir les effets d'une partie orchestrale qui se borne à l'accompagnement et soutient du mieux qu'il peut les chanteurs et le chœur auquel reviennent d'importantes parties.
Une production somme toute plus que moyenne, où l'ennui transparaît assez rapidement.
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Nicolas Mesnier-Nature