La Missa Solemnis de Beethoven garde une position un peu en retrait dans le palmarès des grandes œuvres religieuses populaires bien connues du grand public. Composée durant la dernière période créatrice de son compositeur, son écriture reste fort complexe et se trouve liée à des messages philosophiques, théologiques et liturgiques élaborés, servis par une musique virtuose. Elle nécessite donc une compréhension profonde et des musiciens plus qu'aguerris. Le chef d'orchestre John Nelson l'a très bien ressenti et s'en explique dans le copieux bonus de ce DVD lorsqu'il avoue avec lucidité et simplicité qu'il n'a pas atteint immédiatement son but auprès du public.La réussite d'une Missa Solemnis repose avant tout sur l'excellence de son chœur. Sans lui, pas de messe. Même le quatuor traditionnel de solistes revêt une importance secondaire, pour la bonne raison qu'aucun aria n'est dévolu à la soprano, à l'alto, au ténor ou à la basse, mais uniquement des lignes mélodiques qui se partagent entre les tessitures et s'intègrent à la masse chorale.
Le Gulbenkian Choir possède cette endurance, ces capacités vocales et techniques ainsi que l'engagement nécessaires, selon John Nelson, à une pleine réussite de l'entreprise. Les nombreux gros plans orchestrés par le réalisateur Rhodri Huw nous font partager l'enthousiasme des choristes, leur foi en cette œuvre qui les conduit vers l'objectif souhaité : l'absolue musicalité, celle qui porte les musiciens lorsqu'ils font confiance à la musique et qu'ils s'investissent en elle. Hormis la virtuosité extraordinaire du Gloria, le Credo se montrera très réussi, quand le Et incarnatus est nous surprendra en passant soudainement à une exceptionnelle nuance pianissimo particulièrement ardue à maîtriser.
Les quatre solistes - Tamara Wilson (soprano), Elizabeth DeShong (alto), Nikolai Schukoff (ténor) et Brindley Sherratt (basse) - suivent l'ensemble choral sur la voie de la qualité, et surtout de l'échange entre leurs parties, qui n'ont rien pour les mettre en valeur, et celles du chœur. John Nelson fusionne encore davantage les voix par le placement stratégique des solistes devant le chœur alors que leur place habituelle se trouve à la gauche du chef d'orchestre. Cela leur permet de se trouver en contact aussi bien avec le chef qu'avec les choristes.Un autre élément primordial pour la mise en place de la Missa Solemnis concerne l'orchestre, lequel diffuse des moments d'intensité dynamique aussi bien que des parties chambristes tout aussi surprenantes. La partie de violon solo du Benedictus demande un instrumentiste de premier ordre capable de jouer un véritable concerto de violon au beau milieu d'une messe… À l'écoute du Chamber Orchestra of Europe, on ne peut s'empêcher de faire un parallèle avec le Lucerne Festival Orchestra réuni par Claudio Abbado – qui a lui-même participé à la renommée de la présente formation à ses débuts, chaque année en Suisse. L'esprit reste le même et le résultat aussi, soit un ensemble de remarquables solistes européens réunis plusieurs fois par an, fuyant toute routine d'un orchestre établi et rattaché de façon constante à une salle, capable de tout jouer avec aisance. Le travail réalisé par Nikolaus Harnoncourt à la tête du Chamber Orchestra of Europe a beaucoup fait pour sa renommée et a certainement beaucoup contribué à sa couleur. On remarquera par ailleurs la présence de trois trompettes naturelles sans pistons et de timbales en peaux frappées à l'aide de petites baguettes dures qui leur donnent un son métallique propre à relever la matière sonore générale des instruments traditionnels. La petite soixantaine de musiciens qui composent la formation suffit largement à soutenir le texte musical, limite le surnombre et par là même une épaisseur susceptible d'encombrer la clarté du discours. Ainsi, les parties chambristes du Sanctus restent ici un modèle de transparence dans lequel les pupitres s'écoutent les uns les autres, marque de l'excellence pour un orchestre.
À noter :
Cette production forme un diptyque presque idéal avec la Création de Joseph Haydn dirigée par le même John Nelson, récemment critiquée dans nos pages.
Nicolas Mesnier-Nature