Force est de constater que la production de cet Armide, dernière tragédie en musique de Lully, a fait couler beaucoup d’encre, suscitant même la réprobation d’une partie du public lors de la première devant cette adaptation moderne signée par l’iconoclaste Robert Carsen.
Du point de vue musical, les compliments s'imposent.
Les Arts Florissants sont toujours au sommet de leur art, prodiguant à la fois un continuo des plus éloquents et des orchestrations délicieusement fruitées, pouvant aller jusqu’aux limites physiques des instruments dans les instants les plus tendus de la rage d’Armide. William Christie se fait toujours gentleman, avec une direction à la fois énergique et follement élégante, en tout cas toujours expressive, mais sans jamais sombrer dans la surenchère pourtant aisée dans ce répertoire.Les chanteurs réunis ici sont de premier ordre, à commencer par les rôles masculins.
Paul Agnew, au côté de Christie, a déjà signé bon nombre de références et le ténor livre une fois de plus une interprétation impeccable de bout en bout, avec ce timbre inimitable, fluide, clair et sensuel à la fois, au souffle toujours idéalement dosé et à l’engagement un rien distancié, même si totalement impliqué.
Claire Debono et Isabelle Druet, distribuées dans des rôles protéiformes, nous ravissent du plaisir qu’elles prennent à changer de personnage et de personnalité avec une grâce et un humour infinis.
Mention spéciale également pour la Haine incarnée par Laurent Naouri, au timbre si caractéristique, anguleux, ferme et souple à la fois, même si le déshabillé de soie ne lui va pas vraiment !
Quant au rôle-titre tenu d’une main tonique par Stéphanie d’Oustrac, littéralement électrisée, il n’inspire que l’admiration. Certes, le timbre manque parfois de précision dans les aigus, mais Armide lui va si bien, notamment dans la scène finale, d’une puissance impressionnante.
Non, ce n’est donc pas du côté de la musique que le bât a blessé lors des représentations au Théâtre des Champs-Élysées, mais bien de la mise en scène.
Pour faire pénétrer le spectateur dans l’univers de ce conte hautement référentiel, Robert Carsen a imaginé que le Château de Versailles pourrait être la clef. Le Prologue, à la gloire du Roi Soleil, s’accompagne ainsi d’une visite de sa demeure - galerie des glaces et chambre du Roi - en projection synchronisée sur un écran géant…
Le ressort a alors paru facile, tout comme l’idée d’un visiteur qui s’endort sur le lit du roi (impensable !) pour devenir, dans ses rêves, le Renaud de Lully et faire en sorte de plonger le public dans l’histoire qui prend alors vie… sur scène.
Cependant, ce qui n’a pas fonctionné pour le public d’alors prouve son efficacité, et de façon merveilleuse, au visionnage du présent programme, comme si Robert Carsen avait conçu sa mise en scène davantage pour l'exploitation vidéo que pour le direct. Car la captation de François Roussillon transforme cette vidéoconférence un peu lourde du Prologue en un véritable "montage" de cinéma, ce qui le rend non seulement très vivant, mais surtout totalement pertinent. Un tour de passe-passe pleinement efficace qui fait de la scène, utilisée pour le corps de l’opéra, un véritable lieu de rêve, avec sa lumière, ses décors, ses ambiances, en opposition avec Versailles (musée) figurant le réel… En dépit du ballet (eh oui, les touristes se mettent à danser dans la Galerie des Glaces !), ce contraste entre le "réalisme" de la visite de Versailles filmée comme un reportage, et l’ambiance de la scène mise en lumières par Robert Carsen se montre saisissant et particulièrement parlant. Le présent film ne peut plus être tenu pour un simple témoignage, mais bien pour un élément du discours du metteur en scène au fait des outils de son temps. L’opéra qui en découle sur scène devient alors totalement crédible, tandis que les références glissées ici et là à la culture contemporaine - pubs Dior, American Beauty, etc. - mettent bien en parallèle le côté surfait, superficiel et biaisé des amours de Renaud et Armide et celui de la pompe versaillaise, même si le raccourci est un peu rapide.
Le musicologue Philippe Beaussant a ainsi bien montré dans ses écrits tels Versailles, Opéra, que le rapport à l’image à l’époque baroque était plus complexe, voire à l’inverse de notre conception actuelle.
Enfin, sans chercher la petite bête, cela fonctionne au final pas si mal et les spécialistes y trouveront simplement matière à approfondissement.
D’aucuns ont pensé que cet Armide allait être l’Atys du XXIe siècle. C’est là sans doute leur erreur et la raison de leur déception. Cette production d’Armide est bien une production de notre siècle, certes pas la plus inspirée ou la plus magique, mais cohérente, en phase avec son temps, assumée et convaincante. C’est bien là l’essentiel.
À noter : Ce double DVD est présenté dans un très beau digipack intégrant un superbe livret richement illustré.
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Jean-Claude Lanot